10 octobre 2007, Conseil général Seine-Saint-Denis

Mobilisation pour la défense
des salles de cinéma publiques

Le 10 octobre dernier, une centaine de professionnels du cinéma, d’élus et de responsables des affaires culturelles des villes de Seine-Saint-Denis se mobilisait à l’Hôtel du Département, répondant ainsi à l’appel du Président du Conseil général, et de sa Vice-présidente chargée de la culture rejointe par Emmanuel Constant, Vice-président chargé du Sport et des Loisirs pour organiser la riposte aux attaques menées par les groupes UGC et MK2 contre les salles de cinéma publiques le Méliès à Montreuil et le Bijou à Noisy-le-Grand.

C’est un peu le combat de David contre Goliath : UGC rejoint par MK2, poursuit en justice le cinéma associatif le Méliès à Montreuil ainsi que le cinéma le Bijou à Noisy-le-Grand, pour « abus de position dominante et violation des règles de concurrence ». Ces deux salles reçoivent le soutien financier des collectivités locales dont celui du Conseil général de la Seine-Saint-Denis et des communes. Pour mémoire, le Méliès a appartenu au groupe UGC jusqu’en 1986. Il l’a ensuite vendu pour manque de rentabilité. La municipalité de Montreuil l’a alors racheté. Cinéma de proximité, il s’est en quelques années bâti une réputation de qualité en multipliant les initiatives culturelles et pédagogiques vers tous les publics. Il a ainsi réussi à attirer 200.000 spectateurs/an contre 2.300.000 pour le complexe UGC le plus proche à Rosny sous-bois !

L’exception culturelle française en question
« Deux logiques s’affrontent, soulignait Claire-Pessin-Garric. D’un côté la logique commerciale de ces grands groupes qui veulent récupérer le public que les villes et les associations ont fidélisé par un travail de fourmi. De l’autre côté, notre logique basée sur un projet culturel et un soutien aux créateurs. Il devrait y avoir de la place pour tout le monde car le travail de formation et d’éducation à l’image, de débats avec les artistes ou en direction des jeunes que font les salles publiques sur le département n’est pas assuré par les grands groupes. Ce qui est en jeu, au-delà des cas du Méliès, du Bijou ou encore du Comédia à Lyon, c’est la mise en cause de l’exception culturelle française, c’est-à-dire le financement public du cinéma, qui est à la base du cinéma français. Quand le directeur général d’UGC déclarait récemment que « le secteur du cinéma est jusqu’à preuve du contraire régi par la loi du marché », Michèle Soulignac, directrice de Périphérie, se plaisait à rappeler que « le cinéma français est un secteur d’économie mixte dans lequel l’Etat intervient à travers des taxes, des subventions et par exemple à travers le compte de soutien dont bénéficient aussi les films diffusés par les grands groupes ». Le différend a été soumis à Christine Albanel, ministre de la Culture, par le biais d’une question orale du député-maire de Montreuil, Jean-Pierre Brard. En réponse à l’interpellation du député, la ministre a reconnu la qualité du travail des salles municipales et indépendantes et a décidé, en collaboration avec la ministre de l’économie, Christine Lagarde, de mettre en place une mission de réflexion sur l’application du droit de la concurrence dans le secteur du cinéma qui proposera des mesures « adaptées à la spécificité de l’économie du cinéma et aux objectifs de l’Etat en faveur de la création et de la diffusion des films ». « Nous devons être vigilants quant au contenu de cette mission, recommande Claire Pessin-Garric, car, ajoutée au grand chantier de réforme de l’audiovisuel que s’apprête à lancer le gouvernement, nous avons-là des raisons de grande inquiétude ».


Service public contre logique commerciale

La conception de service public de la culture est partagée par un grand nombre d’acteurs culturels, de directeurs de salles de cinéma, de directeurs des affaires culturelles des villes mais aussi d’élus. Certains d’entre eux étaient venus ce jour-là à l’Hôtel du Département pour affirmer leur soutien à cette mobilisation en faveur des salles publiques du département : « Je souhaite vous faire part de la solidarité de la Région et du soutien de Francis Parny, son élu à la culture », a déclaré Alain Losi, chargé de mission cinéma au Conseil régional d’Ile-de-France. « Nous nous engageons pour la promotion d’un cinéma de service public », martelait Jacky Chérin, membre de la commission culturelle fédérale de la CGT. « Quand une cause est juste, elle peut rassembler au-delà des étiquettes politiques », estimait Christine Gauthier, conseillère municipale UMP des Pavillons-sous-Bois. D’autres acteurs sont venus pour témoigner de leur volonté de faire vivre des lieux culturels publics de proximité : « Il n’existe pas de salle de cinéma à Clichy ni dans les communes environnantes, expliquait Gilbert Klein, élu chargé de la culture à Clichy-sous-Bois. MK2 a bien tenté d’installer des salles, mais le groupe est reparti après un tour de piste car ce projet n’entrait pas dans sa logique commerciale. La commune réfléchit donc à la création d’une salle. Il serait bon qu’elle puisse bénéficier pour ce projet de l’appui d’autres communes. » Marie-Rose Deranger, adjointe à la culture et Emmanuel Constant, également maire adjoint à Noisy-le-Grand, ajoutaient que le Bijou devrait être inauguré fin février 2008. « Il existe un multiplexe UGC à proximité, aux Arcades, mais notre objectif est de créer du lien social en centre ville. Nous voulons un cinéma pour faire de l’animation, pour sensibiliser le jeune public, s’ouvrir aux seniors et pas seulement pour vendre du pop corn ! » En réponse à cette remarque, Claire Pessin-Garric annonçait que le député-maire de Montreuil allait soumettre à l’Assemblée nationale l’idée d’une taxation des produits dérivés dans les multiplexes, y compris le pop corn. « Par ailleurs, sachez que les recours engagés par UGC et MK2 ne sont pas suspensifs et n’empêchent donc pas le versement des subventions, y compris celles provenant du CNC. Pour sa part, le Conseil général a donc voté les subventions prévues pour Noisy-le-Grand ».


Un combat idéologique
Derrière les motivations qui justifient les démarches juridiques d’UGC et de MK2 à l’encontre des salles publiques, au-delà de la logique purement financière et commerciale, plusieurs intervenants voient un positionnement d’ordre idéologique. « Tout ce qui relève de l’espace public fait aujourd’hui l’objet d’une volonté de destruction systématique, soulignait Edgard Garcia, directeur de l’association Chroma. On assiste de ce point de vue à un pilonnage sur le 93 car l’espace commun y est très important, dans le champ culturel, mais aussi le logement social, les crèches… ». « Jusqu’il y a peu, la notion de cinéma public était un mot à ne pas prononcer en présence des professionnels de l’exploitation », soulignait Frédéric Borgia, délégué général de Cinémas 93. « Or ce mot a été prononcé par la directrice du Centre national de la cinématographie lors du congrès de la Fédération nationale du cinéma français à Deauville. Que cette notion soit admise est une première victoire. Le combat d’UGC n’est donc pas seulement financier, il est aussi idéologique : les grands groupes ne veulent pas que les collectivités interviennent financièrement dans le secteur de l’exploitation cinématographique. » Dominique Bax, directrice du Magic Cinéma à Bobigny de rajouter « que nos salles sont soumises à des pressions qui se traduisent par des difficultés pour obtenir des copies de films produites par ces groupes ». Claire Pessin-Garric suggérait alors de saisir l’Association des départements de France, celle des Régions de France car « la question du service public de la culture se pose partout ».


Vers une charte des cinémas publics
Dans le débat, est apparue rapidement la nécessité de définir plus précisément la vocation des cinémas publics. Fabienne Hanclot, déléguée générale de l’ACID (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion), soulignait que les attaques des multiplexes concernent aussi les salles indépendantes privées, comme c’est le cas à Lyon. « C’est donc peut-être le bon moment pour se demander ce qu’est la spécificité d’une salle publique. Qu’est-ce que cela implique en termes de travail d’accompagnement, d’animation, de travail avec le jeune public ? Il faudrait élaborer une charte des salles de cinéma publiques et la faire remonter au CNC ». L’idée d’une charte du cinéma public est déjà à l’œuvre en Seine-Saint-Denis, explique Claudine Valentini, directrice de la culture, du patrimoine culturel, du sport et des loisirs au Conseil général. « Lorsque le Conseil général a pris la décision de renforcer le réseau des salles, nous avons envisagé la rédaction d’une telle charte et avons commencé à y travailler avec les professionnels. Elle se construit sur la notion de service public de la culture : éducation à l’image, rencontre avec les réalisateurs, qualité et diversité des œuvres diffusées, classification art & essai… nous savons pointer ce qui fait la différence ». Après avoir rappeléque la création de salles de cinéma dans les villes était intervenue parce que le privé avait déserté ces territoires, Denis Vemclefs, directeur de l’Espace 1789 à Saint-Ouen, membre de l’Association des cinémas de recherche en Ile-de-France (ACRIF) et élu de Fosses dans le val d'Oise, indiquait que l’ACRIF commençait à réfléchir à une charte : « Nous sommes partants pour continuer à le faire en partenariat avec les élus ». S’appuyant sur l’exemple du Trianon, passé en 2006 du statut d’association à celui de syndicat intercommunal à vocation unique, Stéphane Weisselberg propose une réflexion sur le statut des salles publiques : «Le statut d’Etablissement public de coopération culturelle, en permettant à l’Etat de s’engager avec une collectivité, pourrait être une piste. Je suggère également que tous les conseils municipaux présentent un vœu en faveur de la défense de ces salles ».


Plan de bataille
Selon Claire Aussilloux, directrice des affaires culturelles de la Courneuve et présidente du Club des responsables des affaires culturelles d’Ile-de-France, il y a une bataille d’opinion à mener : « le public ne comprend pas bien les enjeux. Il est nécessaire d’expliquer que le cinéma est un secteur d’économie mixte où interviennent l’Etat et les collectivités. Il faut populariser les termes du débat et rappeler que dans certaines villes, le cinéma est la seule lumière encore allumée le soir ». Cette mobilisation du public, Jean-Louis Le Gall, le président de l’association Renc’art au Méliès l’a initié en recueillant sur les marchés de Montreuil déjà près de 1.300 signatures de soutien au Méliès. Joël Gouhier, directeur adjoint de Citoyenneté Jeunesse rappelait aussi que les salles publiques sont essentielles : « elles nous offrent bien sûr les programmations en cours mais nous donnent surtout la possibilité d’organiser des séances ciblées avec des enseignants et leurs élèves. Le public concerné, ce peut être aussi les 5.000 élèves qui participent chaque année aux dispositifs « Ecoles, collèges et lycées et apprentis au cinéma ». Des dispositifs d’éducation à l’image qui ne pourraient sans doute pas exister sans ces salles municipales. « Que faire concrètement pour résister à l’assaut de ces grands groupes ? » s’interrogeait Boris Spire, directeur de l’Ecran, à Saint-Denis, et soulignait l’importance d’une réponse collective à ces attaques. «Nous pourrions imaginer un événement pour le cinéma public qui se déroule sur une nuit entière, à l’image de la Nuit blanche à Paris » répondait alors Claire Pessin-Garric.

Le plan de bataille en faveur des salles publiques se dessine peu à peu : organisation d’une rencontre avec le CNC, envoi d’une lettre à la ministre de la Culture Christine Albanel, prise de contact avec les différentes associations d’élus au niveau national, parution d’un texte dans les quotidiens, et enfin, organisation de manifestations de mobilisation qui pourraient être l’occasion de sensibiliser les publics à l’issue des Rencontres cinématographiques de Seine-Saint-Denis au mois de novembre 2007.