Jeudi 29 novembre 2007, deux procédures sont engagées par UGC contre le Comœdia à Lyon


Jeudi 29 novembre 2007
(mis à jour le 13/12/07)

Comœdia de Lyon
Consulter le blog, signer la pétition



La presse nationale s’en était fait l’écho depuis quelque temps déjà, et les medias locaux prennent maintenant toute leur part pour relayer l’information :

Deux procédures ont été engagées par UGC contre le Comoedia devant les tribunaux lyonnais :

  • la première devant le tribunal administratif pour contester l’aide sélective attribuée au Comoedia par le Centre National du Cinéma pour les travaux de rénovation. Il faut savoir que plus de 2.000 salles de cinéma en France ont déjà bénéficié d’une aide de ce type.
C’est seulement la deuxième fois en 20 ans qu’une contestation par rapport à cette aide est engagée devant les tribunaux !
Pas encore de calendrier.

  • la deuxième devant le tribunal de grande instance pour essayer d’interdire l’utilisation du nom Comoedia… sachant que le cinéma de l’avenue Berthelot porte ce nom depuis 1924.
Cette procédure pour contrefaçon est assortie d’une demande de dommages et intérêts d’un million d’euros ! Avec une action au fond courant 2008.

A notre connaissance, il n’y a aucun précédent en France avec un grand groupe s’attaquant de façon aussi violente et devant les tribunaux à un exploitant indépendant.

UGC - qui a fermé le Comoedia fin 2003 alors que rien ni personne ne lui demandait de le faire - semble bien décidé à gêner la nouvelle équipe qui a entrepris de le faire revivre.

Cette affaire est aussi à mettre en relation avec l’arrivée prochaine de trois nouveaux multiplexes dans l’agglomération, dont deux Pathé à Vaise (2008) et au Carré de Soie (2009) et dont un nouveau UGC Ciné Cité à la Confluence (2010).
UGC veut manifestement essayer empêcher le Comoedia d’installer son fonctionnement et de développer normalement son public d’ici cette ouverture.

Ces implantations, décidées et voulues par le Grand Lyon, ne sont accompagnées à ce jour d’aucune réflexion sérieuse visant à permettre la cohabitation la plus harmonieuse possible de ces très gros équipements cinématographiques avec les salles d’art et essai et de proximité de Lyon et du Grand Lyon.
Il serait pourtant bienvenu de se poser des questions de politique culturelle et d’aménagement du territoire si l’on ne veut pas aboutir à des déserts cinématographiques irrémédiables et à une uniformisation encore plus poussée.

L’enjeu étant tout de même de permettre à la diversité des films de rencontrer la diversité des publics !
Nous en appelons au soutien des spectateurs et des lyonnais attachés à l’indépendance et à la diversité culturelle et leur proposons :

  • de faire part de leurs réactions sur le blog que nous avons mis en place
  • de signer le texte de soutien disponible à la caisse du cinéma ou en ligne
  • et de faire circuler ces informations de la façon la plus large possible.

Merci d’avance pour votre soutien
Marc Bonny et l’équipe du Comoedia

29 novembre 2007, Politis




Une peau de chagrin
par Christophe Kantcheff


Nombre de festivals sont menacés par des baisses de crédits. Un budget en baisse, la création précarisée, l’action culturelle décimée, le désengagement de l’État est patent en matière de culture. Avant l’annonce des derniers arbitrages mi-décembre, les professionnels réagissent.


Au cours du mois de novembre, les cris d’alarme se sont succédé. De la part des directeurs d’opéras en région, des employeurs du spectacle vivant – tous réunis, publics et privés, une fois n’est pas coutume – et des organisations qui œuvrent pour l’action culturelle cinématographique. Le propos est aisé à résumer : non aux baisses sévères de crédits qui se profilent. La ministre de la Culture, Christine Albanel, joue l’étonnement, avec un cynisme d’autant plus décomplexé que les derniers arbitrages, qui devraient être connus mi-décembre, sont pris dans le secret des cabinets. Les milieux culturels se feraient peur avec de fausses rumeurs ? Trop facile. . .

La langue de bois et les tours de magie ne peuvent tromper indéfiniment. La ministre répète comme un mantra que son budget 2008 est «satisfaisant». À l’entendre, il serait en hausse de 3,2 %, passant de 2,694 millions d’euros en 2007 à 2,770millions d’euros en 2008. Dommage qu’elle oublie de préciser quelques détails. Ainsi, dans un document décryptant ce budget, le PS souligne que le ministère parvient à ce résultat en rebudgétisant une taxe de 70 millions d’euros, créée l’an dernier par le gouvernement Villepin, à l’intention du Centre des monuments nationaux. Ajout artificiel. Dès lors, la hausse du budget n’est plus que de 0,25%, tandis que celle de l’inflation devrait atteindre 2%, selon les prévisions de la Commission européenne. Un budget«satisfaisant», donc, mais en baisse.


Pour François LePillouër, président du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndéac) et directeur du Théâtre national de Bretagne, à Rennes, l’équation est simple : « Si, à l’inflation, on ajoute le coût des nouveaux projets [comme, par exemple, celui du grand auditorium de LaVillette, NDLR], on obtient ce qui reste pour tous les autres secteurs. »Résultat en ce qui concerne le spectacle vivant : -17,9% pour la démocratisation culturelle, -0,5% pour la création.

Plus encore, Christine Albanel a annoncé un gel de «6% des crédits». Tout en soulignant que cette «réserve de précaution» concernait tous les ministères. Ce qui ne console personne. La promesse de revoir cet argent si le budget de l’État est respecté ne rassure pas non plus grand monde. Nombreux sont ceux qui pensent qu’après les municipales, en mars prochain, il faudra attendre longtemps le dégel. . .

Dans une lettre envoyée à Nicolas Sarkozy par les employeurs du spectacle vivant, ceux-ci précisent les conséquences d’une telle politique: « Non seulement des coupes claires devraient être faites dans les programmations, mais encore des dédits coûteux et de nombreux licenciements seraient inéluctables, entraînant une fragilisation accrue de l’emploi dans nos professions et la disparition de bon nombre de structures légères, donc plus fragiles, qui participent au foisonnement et à la diversité de la création française.» Il va sans dire que la crise des intermittents, qui ressurgira en 2008 avec la remise à plat de toutes les conventions Unedic, ne fera qu’ajouter du sel sur ces plaies ouvertes.

De leur côté, les directeurs des opéras d’Avignon, de Metz et de Tours ont devancé ce qui s’annonçait comme une très mauvaise nouvelle : la suppression pure et simple de leur subvention ministérielle, en 2008 pour les deux premiers, sur deux ans pour le troisième. «Des opéras installés dans des villes moyennes, où il a fallu batailler pour constituer un public», commente Pierre Médecin, président de la chambre professionnelle des directeurs d’opéra. Que signifierait la suppression de la subvention d’État ? Pour Avignon, par exemple, les 440.000 euros versés financent quatre productions sur les cinq programmées dans l’année. Une hécatombe. Mais il semble qu’à Tours, Renaud Donnedieu de Vabres, qui vise la mairie, ait fait jouer ses relations «maison» pour récupérer la subvention. C’est le fait du prince. . . favorisé par l’opacité qui préside aux décisions finales.

Dans la même logique obscure et malthusienne, ce sont les conseillers des directions régionales des affaires culturelles (Drac) pour le cinéma qui sont actuellement contraints de faire des choix drastiques. Sont dans le collimateur les festivals et les associations impliquées dans «la diffusion culturelle des œuvres cinématographiques et audiovisuelles». Dans le budget global des Drac, la diffusion culturelle du cinéma ne représente que 5 millions d’euros. Mais pour un État qui, d’emblée, a fait cadeau de 15 milliards avec le paquet fiscal, il n’y a plus de petites économies, surtout quand celles-ci risquent de ne pas soulever de grandes tempêtes médiatiques parce qu’elles concernent la vie culturelle des territoires. En effet, une dizaine de festivals parmi les plus en vue ne seraient pas inquiétés, désormais pris en charge par le CNC (qui n’a pas répondu à nos questions). Outre Cannes, qui l’est déjà, on peut imaginer, par exemple, que les festivals d’Annecy, de Clermont-Ferrand, ou Premiers Plans à Angers, respectivement les plus réputés pour l’animation, le court-métrage et le cinéma européen, seront mis à l’abri. Mais qu’en sera-t-il de toutes ces manifestations, notamment celles qui se déroulent dans des banlieues ou en milieu rural, qui permettent à des populations éloignées des salles d’avoir accès à des films du patrimoine ou de cinématographies peu diffusées, souvent d’une grande exigence artistique?

«L’offre diminuant, ce n’est pas seulement la transmission des œuvres qui est atteinte, explique Antoine Leclerc, délégué général de Carrefour des festivals, association qui réunit une cinquantaine de manifestations ciné-matographiques et audiovisuelles. Les conséquences économiques sur la filière ne seront pas négligeables. En outre, le ministère prétend que l’éducation aux images n’est pas concernée par ces diminutions budgétaires. Mais comment continuer à l’assurer si les structures qui en sont le relais sont démantelées ?» Pas étonnant que l’association Les Enfants de cinéma, qui pilote le dispositif École et cinéma, se déclare solidaire. De même que la Société des réalisateurs de films et le Bureau de liaison des organisations de cinéma, à un niveau plus général.

Sans le dire officiellement, le ministère renvoie les acteurs culturels vers les collectivités territoriales, en particulier les régions. Christine Albanel dément pourtant tout désengagement de l’État. Elle refuse aussi toute négociation d’ensemble ou de remise à plat («un Grenelle de la culture», réclament les employeurs du spectacle vivant). Une attitude qui rend crédible une rumeur selon laquelle le ministère disparaîtrait dans les trois ans, ou serait mis sous la tutelle d’un autre ministère, celui de l’Éducation par exemple.

Là comme ailleurs, c’est vers Nicolas Sarkozy que les professionnels se tournent. N’est-il pas l’auteur de cette grande phrase: «Je propose que l’État se donne trois priorités: l’entretien et la mise en valeur de notre patrimoine, la démocratisation culturelle à travers l’enseignement culturel et artistique, et naturellement le soutien à la création» ? Il est vrai qu’elle figurait dans sa calamiteuse lettre de mission à la ministre, où les termes clés étaient : «répondre aux attentes du public», «rendre compte de la popularité des interventions», «obligations de résultats». . .





28 novembre 2007, Ciné'fil à La Nouvelle République (Tours)

Lettre de Christine Dumand, Ciné'fil (Blois)
à la Nouvelle République


Bonjour,


L’association Ciné’fil souhaite réagir suite à l’article d’Alain Vildart, publié le vendredi 23 novembre, concernant la baisse des subventions de la DRAC pour le spectacle vivant.

[Article paru dans
La Nouvelle République, édition Centre, cf. ci-contre,
cliquer sur l'image pour la voir en grand]


Le cinéma et l'audiovisuel seraient également concernés par ces baisses drastiques, au même titre que les autres secteurs culturels. Malheureusement, nous ne disposons pas de chiffres officiels, les conférences budgétaires des DRAC pour le cinéma étant reportées à la mi-décembre. Mais, il est annoncé une baisse de budget de 50 à 80% selon les lignes budgétaires.

Des associations régionales et nationales s’en sont émues et se sont réunies pour écrire une lettre à Madame Christine Albanel, ministre de la culture, lettre dans laquelle elles expriment leurs interrogations et que je me permets de vous joindre.

Je me permets par ailleurs de porter à votre connaissance une information complémentaire : dans le cadre du Festival du Film de Vendôme, organisé par Centre Images, Agence régionale du Centre pour le cinéma et l'audiovisuel, une table-ronde nationale est organisée le jeudi 6 décembre de 9h15 à 16h30 sur le thème : Le Cinéma et l’audiovisuel dans la décentralisation. Ce rendez-vous sera l’occasion d’échanger entre associations, festivals, élus et officiels et de faire le point sur la réalité des rumeurs qui circulent actuellement. Vous trouverez en pièce jointe le programme de la journée.

Je ne manquerais pas de vous faire connaître les évolutions dans ce secteur et notamment les montants des réductions budgétaires du secteur du cinéma.

En vous remerciant pour l’attention que vous porterez au devenir du secteur cinématographique et de ses missions culturelles qui risquent d’être remises en cause.

Cordialement,

Christine Dumand
Ciné'fil, Blois

(lire aussi le post du 10/11/07 de
Renaud Donnedieu de Vabres)







10 novembre 2007, sur le blog de Renaud Donnedieu de Vabres

10 novembre 2007 ;
enregistré dans : Réflexion et messages
wm @ 11:17 pm


Vive la vérité !
Il n’y a pas de désengagement de l’Etat
à l’Opéra de Tours




Le feu prend vite dans le champ culturel !

Une rumeur, ne reposant sur aucun arbitrage définitif, est une traînée de poudre qui devient vite la vérité, la preuve même d’une nouvelle politique de l’Etat… en l’occurrence, se désengager.

Lorsque Jean-Yves Ossonce, magnifique chef d’orchestre, m’informe de ce qui serait une baisse prévue de 50% des crédits de l’Etat pour l’Opéra de Tours en 2008, précédant la suppression de tout concours financier en 2009, je bondis, je sursaute, puis je me souviens….

La période des arbitrages entre le ministère et les DRAC est toujours chaude, électrique, manipulatrice. Les faux chiffres circulent, les esprits s’échauffent, puis la réalité des décisions confirmées s’impose. Mais même quand tout est finalement démenti, le poison subsiste. N’avaient- « ils » pas une arrière-pensée, une volonté scélérate d’abandonner l’action culturelle en région, ne réservant les crédits qu’aux institutions nationales ayant le label ?

Ce procès est permanent. Il est logique d’ailleurs tant les besoins sont immenses, et les crédits jamais suffisants pour faire progresser les très nombreuses maisons du spectacle vivant qui sont la fierté de nos villes. Alors, mobilisons les uns, interpellons les autres, vouons aux gémonies les troisièmes. Ces rites très politiques sont, au fond, l’apanage d’une démocratie vivante, mais parfois caricaturale. Donc je ne laisserai pas s’installer le doute sur l’action culturelle de l’Etat à Tours. Au-delà des échanges téléphoniques créant la peur et des pseudo-annonces non écrites, disons clairement qu’il n’y aura pas une baisse de 50% des crédits pour l’Opéra.

Le colporter apparaîtra dès que la ministre l’aura officiellement annoncé, comme une sorte de pratique diffamatoire.

Le rétablissement de la vérité aura, j’espère alors, autant d’impact que l’allumage du feu… Triste vœu pieux, je le sais bien, tant les dégâts médiatiques seront déjà engrangés, par ceux qui aiment ces « sinistres » récoltes !

Sur le fond, l’Opéra de Tours, le Centre Dramatique Régional, Le Centre Chorégraphique National, l’ensemble des scènes de Tours méritent non seulement le soutien vigilant de l’Etat, mais une action renforcée de la ville, du département, de la Région et des partenaires qui devraient en démultiplier le rayonnement.

Je suis beaucoup plus mobilisé sur ces objectifs concrets que certains vrais-faux amis de la culture et du spectacle vivant. En tout cas, je prouverai le moment venu, en étant Maire, que l’Etat, les collectivités territoriales et les partenaires privés feront tous ensemble à ma demande mieux et plus pour la culture, pour le spectacle vivant, dans toutes ses composantes aussi diverses que complémentaires, avec une attention particulière portée aux compagnies indépendantes et à tous les lieux culturels de la ville et de l’agglomération.

Partenariat, résidence d’artistes, ouverture et accueil, soutien à la création et à la diffusion, parrainage des nouveaux talents, recherche de mécénat, éducation artistique, seront autant de maîtres mots. Déclinés concrètement et précisément pour donner de vrais résultats, et des rencontres réussies avec le public.

Alors, de grâce, pas de panique ! Aux chantres du malheur et des catastrophes, je demande tout simplement d’attendre quelques heures ou quelques jours pour que les démentis recréent la confiance et la vérité et que les décisions officielles traduisent la solidité d’une politique volontaire de l’Etat.

Il a suffi qu’un écho me parvienne d’un risque pour que je bouge. Je n’ai d’ailleurs pas attendu que le maire me sollicite pour le faire… Au fait que dit Jean Germain à ce sujet, comme sur celui de l’autonomie de l’université. Son silence est assourdissant.

J’ai la passion de ma ville. J’ai tenté, en vain, d’apporter des éclaircissements en appelant préventivement moi-même certains, en donnant de vraies informations précises, techniques et vérifiables, mais la « bataille » était lancée, le procès de l’Etat définitivement instruit.

Hé bien, n’en déplaise à quelques esprits très « politiques », j’entends être le plus ardent pour défendre et promouvoir la culture, les artistes et les techniciens à Tours.

Je n’ai pas de panne de volonté, mais des projets plein la tête. Ils seront bientôt publics…


RDDV

05 novembre 2007, Le Monde

Point de vue
LE MONDE | 05.11.07 | 13h37



Le cinéma pour aider à vivre

par Cédric Klapisch


Monsieur Sarkozy, vous demandiez récemment à Mme Albanel, ministre de la culture et de la communication, de relancer la démocratisation culturelle en la définissant ainsi : "La démocratisation culturelle, c'est veiller à ce que les aides publiques à la création favorisent une offre répondant aux attentes du public." Cette petite phrase anodine cache en fait le drame qui touche depuis quelques années le secteur du cinéma.

Il y a dans la culture, comme dans le rugby, des fondamentaux... Et ce n'est pas seulement à vous que je m'adresse ici, mais à tous ceux qui font aveuglément confiance aux "attentes du public", sans mesurer à quel point la diversité culturelle est ainsi menacée.

Vous vous inquiétez avec justesse d'une maladie française qui s'appelle l'élitisme. C'est vrai, on a souvent reproché au cinéma français d'être snob, prétentieux, intello, "prise de tête", et je dois vous avouer que je l'ai aussi beaucoup pensé.

C'est même assez étrange pour moi de m'être battu pendant des années pour affirmer la nécessité d'un cinéma populaire et de me retrouver à défendre aujourd'hui un cinéma non pas élitiste mais "culturel". J'ai toujours pensé qu'on pouvait faire des films commerciaux en refusant de prendre les spectateurs pour des imbéciles. Je crois à une "troisième voie" qui refuse la sempiternelle opposition : film d'auteur, film commercial.

Un député européen me demandait récemment : "Pourquoi n'y a-t-il pas d'Harry Potter européen ?" Est-ce réellement ce que vous attendez tous ? Est-ce là votre seul rêve culturel : un film absolument sans auteur et sans saveur dont la seule valeur est d'être un succès ? Je comprends que, dans d'autres domaines, vous soyez en attente de résultats industriels. Mais, dans le cinéma, nous préférerions que les personnalités politiques nous incitent à être originaux ou audacieux, plutôt qu'à faire du chiffre.

Aujourd'hui, ce qui nous inquiète, nous, réalisateurs, c'est d'assister à la lente et insidieuse disparition de ce qui pourrait surprendre ou éveiller le public. Il y a de fait un appauvrissement culturel dans notre pays et les élites n'envisagent même plus de travailler à le ralentir. Je m'inscris ici dans la même démarche que Pascale Ferran aux César. Avec la Société des réalisateurs de films (SRF), nous remarquons, comme elle, à quel point la situation se dégrade rapidement, et il devient urgent de réagir.

Si notre métier contient une part de rêve, être "réalisateur", au sens littéral, c'est rendre réels ces rêves. Si nous aidons les spectateurs à fuir la réalité avec nos images, notre but est aussi que ces images les renvoient autrement à la réalité. Le cinéma doit sans doute divertir, mais il doit aussi avertir. Un réalisateur doit plus aider les gens à se "tourner vers" qu'à se "détourner". Il ne doit pas "endormir", mais donner à voir, informer, éveiller la curiosité.

Woody Allen m'a averti des paradoxes du couple. Federico Fellini m'a éclairé sur les mystères de la masculinité, Jane Campion sur les mystères de la féminité. Jean Renoir m'a parlé de ce qui dépasse les classes sociales, Charlie Chaplin de ce qui n'échappera jamais aux classes sociales, Abbas Kiarostami de l'intelligence contenue dans la simplicité, Jean-Luc Godard de la simplicité contenue dans l'intelligence, Martin Scorsese de la beauté de la violence, Alain Resnais de l'horreur de la violence, Pedro Almodovar du fantasme contenu dans le réel, Alfred Hitchcock du réel contenu dans le fantasme...

Tous ces cinéastes m'ont aidé à vivre. Ils m'ont autant diverti qu'averti. Ils m'ont aidé à aborder des problèmes quotidiens sans me donner de leçons. Ils m'ont donné des éléments de réflexion sans que je sache que c'était de la réflexion. Ce "reflet" du monde n'est pas juste un effet de miroir, c'est ce qu'on appelle un regard. Bizarrement, plus ce regard est personnel, plus il sera universel. Moins il sera consensuel et formaté, plus il sera général. La culture a ceci de particulier qu'elle n'est pas conçue a priori pour satisfaire le public, même si au fond elle s'adresse à tous. On pourrait croire qu'avec Internet il y aura toujours plus d'espaces pour plus de films. Non ! Paradoxalement, plus on ouvre de fenêtres et plus les portes se ferment. La multiplication des espaces de diffusion accentue la logique de l'Audimat et l'omniprésence des block-busters. Le résultat : un formatage sans précédent des oeuvres.

En matière d'environnement, on sait aujourd'hui que seule l'audace politique peut infléchir les effets pervers de l'industrie. En matière culturelle, il devient indispensable de contrebalancer les effets pervers du marché. Nous ne voulons pas une culture assistée, nous voulons une culture protégée.

Je me souviens de La Voce della Luna, le dernier film de Federico Fellini. Il y mettait en garde l'Italie contre les méfaits de l'acculturation, et notamment le rôle destructeur et abêtissant de la télévision. Aujourd'hui, Fellini est mort, et avec lui Pasolini, Visconti, Antonioni, Rossellini, De Sica et bien d'autres. Et avec eux, quelque chose d'essentiel a disparu en Italie. La cinématographie italienne des années 1940 à 1980 était diversifiée, il y avait aussi bien des grands films populaires que des films difficiles. Ce qui est mort là-bas, ce n'est pas le talent, ce n'est pas une époque... ce qui est mort, c'est la politique qui a déserté le terrain de la culture au profit du divertissement et du populisme les plus mercantiles.

Il est difficile d'inventer une politique qui aide la création, mais le manque d'idées politiques mène à l'acculturation. Se borner à laisser faire le marché en matière de culture, c'est tuer la culture.

Cédric Klapisch

Cédric Klapisch est réalisateur, acteur, producteur et scénariste.
Il est né le 4 septembre 1961 à Neuilly-sur-Seine (France).
A l'âge de 23 ans et suite à de courtes études dans une école de cinéma parisienne, il se forme à l'université de New York. Après ses études il travaille sur différents tournages avant de se lancer dans la réalisation de ses propres courts métrages et malgré une forte couverture médiatique il ne rencontre pas le succès espéré. C'est grâce à Un air de famille qu'il sort définitivement de l'ombre pour intégrer le paysage audiovisuel français, voire européen. Ce talent se confirme à travers L'auberge espagnole et Ni pour ni contre.
Ce qui me meut est le titre d'un de ses courts métrages, et le nom de sa société de production.

Filmographie
Glamour toujours (court métrage)
Jack le voyeur (court métrage)
1986 : In Transit (court métrage)
1989 : Ce qui me meut (court métrage)
1991 : Riens du tout
1994 : 3000 scénarios contre un virus (les parties : Poisson rouge et La Chambre)
1995 : Le Péril jeune
1995 : Lumière et compagnie
1996 : Chacun cherche son chat
1996 : Un air de famille (scénario d'Agnès Jaoui et de Jean-Pierre Bacri, César du meilleur scénario original ou adaptation)
1998 : Le Ramoneur des Lilas (court métrage classé X)
1999 : Peut-être
2002 : L'Auberge espagnole
2003 : Ni pour ni contre (bien au contraire)
2005 : Les Poupées russes
2008 : Paris

source : Wikipedia