28 février 2008, Le Monde

LE MONDE | 27.02.08 | 17h48
Lyon Envoyée spéciale

A Lyon, le gel des crédits
épargne les "gros"


Le directeur régional des affaires culturelles (DRAC) Rhône-Alpes, Jérôme Bouët, n'a pas eu l'autorisation de rencontrer Le Monde : l'affaire est trop sensible à l'approche des élections municipales. Sans doute aussi les récentes décisions en matière de crédits de l'Etat ne sont pas faciles à faire digérer aux théâtres et autres lieux culturels.

Car M. Bouët doit gérer la baisse du budget du spectacle vivant. Il avait fait un choix révolutionnaire : après l'annonce du gel de crédits de 6 %, fin 2007, il estimait qu'il fallait préserver les compagnies, déjà fragiles, et demander aux grosses institutions de consentir un effort. Mais il a dû s'adapter aux consignes de la ministre de la culture : en janvier, Christine Albanel décidait d'épargner le "cœur de réseau" (scènes nationales, centres dramatiques nationaux...) des coupes budgétaires. Dans la redistribution des cartes, les "gros", largement subventionnés, sont généralement les gagnants, et les "petits", déjà moins dotés, les perdants.

L'opéra en centre-ville, le Théâtre national populaire (TNP) de Villeurbanne,
le Centre chorégraphique national de Maguy Marin, à Rillieux-la-Pape, ont retrouvé leurs crédits de 2007. La Maison de la danse à Lyon, bien que non labélisée, est passée entre les gouttes. Mais pas l'Orchestre national de Lyon (- 94.000 euros) ni le Grame, centre national de création musicale (- 30.000 euros).

De leur côté, les scènes moins connues comme
le Théâtre de la Renaissance d'Oullins ou celui de Givors perdent 4 % des aides de l'Etat. Certes, les compagnies n'ont pas été touchées. Mais beaucoup fonctionnent aussi grâce aux crédits de l'action culturelle, inscrits sur une autre ligne budgétaire. Or ceux-ci sont en chute de 56 % dans la région, soit un manque à gagner de 600.000 euros. D'autres ont recours aux subsides de la politique de la ville, telle la compagnie Là Hors De, du quartier de la Duchère, à Lyon. En 2007, la DRAC gérait ainsi 34 millions d'euros pour le spectacle vivant, dont 29 millions pour les institutions et 5 millions pour une centaine de compagnies.

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Nous sommes en danger parce que les compagnies sont en danger. Si elles n'ont plus les moyens de faire des ateliers avec le public, on est foutus", résume Gisèle Godard, qui dirige le Théâtre de Vénissieux et mène des projets d'éducation artistique via les compagnies. L'une d'elles, La Cordonnerie, vient de perdre l'aide de la DRAC de 10.000 euros. Ne restent plus que les 20.000 euros du conseil régional et le soutien des théâtres qui coproduisent ses ciné-concertsc.



Le "zinzin" réactivé

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Il y a un risque pour l'emploi. Entre 500 et 700 intermittents du spectacle sont sortis de l'assurance-chômage en Rhône-Alpes depuis la réforme de 2003", indique Vincent Bady, ex-président du Syndicat national des arts vivants (Synavi) et membre du Nouveau Théâtre du 8e, à Lyon. Syndicats et directeurs de lieux subventionnés ont réactivé le "zinzin", groupe de vigilance né de la crise de l'intermittence. Les gros calibres et les petites structures se serrent les coudes : tous travaillent en réseau. Que l'un vienne à être fragilisé, et le château de cartes vacille

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La présence de l'Etat, même symbolique, est nécessaire, souligne Françoise Pouzache, directrice du Théâtre de Givors. Il ne faut pas laisser les coudées franches aux collectivités locales : j'ai des collègues qui soumettent leur programmation aux élus..." Patrice Beghain, adjoint à la culture du maire de Lyon, Gérard Collomb (PS), n'est pas optimiste : "La confusion va se dissiper après les municipales. Nous ne sommes pas à l'abri de nouvelles coupes budgétaires." Et il prévient : "La ville consacre plus de 20 % de son budget à la culture et ne va pas suppléer au retrait de l'Etat."

Symbole de la montée en puissance de Lyon,
Les Subsistances, lieu de fabrique artistique, n'auraient jamais vu le jour sans l'impulsion de la ville et de la région. Ses directeurs espéraient "un redéploiement" des aides de l'Etat en leur faveur. Ce ne sera pas pour 2008. A Vaulx-en-Velin, le centre culturel Charlie-Chaplin ne reçoit plus d'aide ministérielle depuis plusieurs années. C'est là que, fin janvier, la secrétaire d'Etat à la politique de la ville, Fadela Amara, a évoqué son plan pour les banlieues - qui ne dit rien sur la culture.

Un peu amer, le directeur du lieu, Marc Masson, raconte : "
La DRAC nous dit : on ne vous subventionne plus, mais on aide les artistes en résidence chez vous." La roue tourne : l'une d'elles, la Nième Compagnie, vient d'apprendre que sa convention avec l'Etat ne serait pas reconduite.

Clarisse Fabre