08 février 2008, Le Monde


Propos de Guy Verrechia, PDG d'UGC,
recueillis par Nicole Vulser
LE MONDE daté du 08 février 2008



« Beaucoup de salles bénéficient
de plus de subventions que de recettes »



Guy Verrecchia, PDG d'un des trois plus grands circuits français de distribution de films, UGC, multiplie les offensives juridiques contre les salles municipales qui, à ses yeux, lui font une concurrence déloyale. Il explique au Monde sa position dans ce conflit.



L'arrivée du tout-numérique en salles va-t-elle créer en France un cinéma à deux vitesses ?

Le tout-numérique pose plus de problèmes qu'il n'offre d'avantages. Dans les salles, le son est déjà entièrement numérique et l'image ne sera pas meilleure que le 35 mm. Il n'existe pas non plus de modèle économique satisfaisant. Les majors américaines cherchent à éviter de tirer des milliers de copies en demandant aux exploitants de s'équiper, précisément pour qu'elles fassent des économies.

Il y a beaucoup de gens qui ne manquent pas d'enthousiasme pour se lancer dans le tout-numérique. Pour nous, c'est un sujet un peu marginal, comme si on demandait au restaurateur de s'équiper du dernier modèle de four à micro-ondes, sans se demander si la cuisine est bonne. Chez UGC, nous serons les derniers à nous équiper, ce qui nous donnera une meilleure vue sur les technologies existantes. Votre question présuppose que les grands circuits s'équipent avant les autres. Ce n'est pas le cas pour UGC. Nous avons des idées pour investir : faciliter l'accès aux salles, réserver par Internet, améliorer les espaces d'accueil et de convivialité...


En multipliant les contentieux avec les salles municipales, à Noisy-le-Grand, Epinal, le Comoedia à Lyon ou le Méliès, à Montreuil, que vous attaquez pour concurrence déloyale et abus de position dominante, vous avez conforté une image de méchant vis-à-vis des cinémas d'art et essai municipaux...

Sur la forme, il s'agit d'un recours administratif, s'agissant du fond, nous ne considérons pas qu'il s'agit d'un abus de position dominante, mais bien de concurrence déloyale. S'il y a un cinéma à deux vitesses, c'est bien dans ce domaine. Les uns n'ont que des droits, les autres que des devoirs. Certains cinémas sont archi-subventionnés et d'autres ne touchent rien. Beaucoup de salles bénéficient de plus de subventions que de recettes de spectateurs. Que dirait-on si les municipalités se mettaient à ouvrir des librairies, des boulangeries ou des restaurants ? On est dans une économie bâtarde. Les municipalités qui ont une salle en veulent trois, celles qui en ont trois en veulent six... Les instances de régulation considèrent qu'il est vertueux, pour une municipalité, de se lancer dans le cinéma. Montreuil n'est qu'une illustration de ce problème non résolu. Ce point de vue est partagé par de nombreux exploitants de taille et de nature différentes. La Fédération nationale des exploitants et le Syndicat français des théâtres cinématographiques ont pris la décision d'exercer un recours sur Noisy-le-Grand, considéré comme l'exemple le plus aberrant.

Les contraintes économiques ne peuvent être ignorées : pour construire un multiplexe, l'unité de compte varie entre 10 et 30 millions d'euros. Je ne critique pas les aides sélectives dédiées aux programmes d'art et essai, même si je souhaite un contrôle a posteriori. Il existe en revanche des subventions dont on perçoit mal la finalité, comme les aides à la création de salles dans les villes où l'on limite les initiatives privées par crainte d'un suréquipement. UGC ne touche pas de subventions, et l'existence même du fonds de soutien coûte à UGC 2,5 % de son chiffre d'affaires. Si la fréquentation baisse dans une salle municipale, il est plus productif pour l'exploitant d'aller solliciter son maire que d'essayer de séduire des clients. Le système s'emballe.



La ministre de la culture a pris la défense du Méliès...

Son point de vue ne me semble pas être la conclusion d'une analyse approfondie du sujet. Je l'ai vue, elle m'a écouté.


Vous êtes aussi très critiqué pour avoir essayé de baisser la rémunération des ayants droit sur les cartes illimitées...

UGC réalise 25 % des entrées grâce aux cartes illimitées. Avec cette politique, le public a augmenté, tout comme l'accès à une plus grande variété de films. Notre rémunération (5,03 euros) est supérieure au prix moyen de nombreuses salles. Je rappelle que 54 millions de places ont été vendues en 2006 en France à moins de 5,03 euros. C'est un débat poujadiste, corporatiste.


Après des problèmes à la sortie de Saw 3, vous avez décidé de ne plus programmer de films interdits aux moins de 18 ans en banlieue. Allez-vous continuer ?

Quand ces films risquent de poser des problèmes avec une clientèle un peu abrasive, on les évite. D'autant que nous avons déjà eu des incidents dans certaines salles.



Le recours à la version originale vous permet-il de choisir votre clientèle ?

Je ne le dirais pas comme cela. La VO est en soi qualitative, que ce soit en centre-ville ou en périphérie. Par capillarité, il faut emmener les spectateurs là où ils ne seraient pas allés spontanément.



Que répondez-vous aux rumeurs de cession d'UGC, détenu à 95 % par un holding familial ?

Nous sommes indépendants de toute puissance financière et politique, et je n'ai pas l'intention de vendre.



Après avoir cédé vos salles en Grande-Bretagne, vous restez en Belgique, en Italie et en Espagne. Quel pays est moteur ?

Nous avons ouvert avec succès un cinéma à Rome en décembre, c'est un marché difficile, mais qui semble mieux se développer qu'ailleurs.



Combien de films produisez-vous chaque année ?

Entre dix et douze, dont la moitié en interne et l'autre moitié avec des partenaires. Nous produisons aussi bien André Téchiné que Philippe Claudel, Barbet Schröder, Bruno Podalydès avec Why Not Production ou Lucky Luke.