DROIT DE REPONSE
(aux attaques d'Utopia en direction du Jean-Eustache en particulier,
et aux attaques d'UGC-MK2-Utopia envers les cinémas de proximité en général)
Pour le spectateur lambda, il y a sans doute quelque étonnement et incompréhension à assister aux récentes piques de l'Utopia (aux côtés d'UGC et de MK2), envers les salles dites municipales en général et envers le Jean-Eustache, en particulier. Le récent entretien réalisé par le journal Sud-Ouest a eu le mérite de clarifier, un peu, la position de chacun. Cependant il nous semble nécessaire de faire un point, non par mouvement d'humeur, mais parce que l'enjeu est de taille.
En deux mots, que se passe-t-il ? Le système d'exploitation des salles de cinéma est de moins en moins rentable, pour ne pas dire plus. Certes, la fréquentation est à un niveau assez élevé si on la compare aux dix dernières années. Mais les circuits et les indépendants ont consenti de gros investissements. En 12 ans, le parc a été complètement transformé : les 146 multiplexes construits pendant la période (soit 7% des lieux) réalisent 55% des recettes. UGC et autres circuits ont cru qu'il suffirait de faire de belles et bonnes salles de cinéma. Or, cela ne suffit pas. Encore faut-il qu'il y ait du désir pour un film et pour la sortie au cinéma. Qu'à cela ne tienne, UGC a cru avoir trouvé la parade avec la carte "Illimité". Mais même cette formule a montré ses limites. La société s'est transformée et les comportements de loisirs ont été bouleversés : apparition du DVD, développement éclair du téléphone portable, d'internet et du haut débit. Aujourd'hui, quel adolescent renoncerait à son abonnement téléphonique de 30€ avec 3h de communication mensuelle pour acheter une Carte cinéma Illimité à 19,80€ par mois ? La réponse est simple : aucun. Les statistiques du Centre National du Cinéma sont cruelles : la part des 15-24 ans dans les entrées en salles est passée de 56% en 1980 à 27% en 2006 ; dans le même temps, la part des plus de 50 ans dans les entrées en salles est passée de 7,3% en 1980 à 31,7% ! Face à un vieillissement caractérisé du public, les opérateurs ont investi dans des multiplexes tout spécialement dédiés au public jeune (avec confiseries, jeux vidéo..). Erreur stratégique fatale. Et l'on veut remettre en cause, la viabilité des cinémas de proximité : contresens total.
De plus, face à ces changements considérables de comportement, l'exploitation en France campe sur son modèle vieux de 40 ans : on sort les films à la douzaine chaque semaine, à raison de 5 séances par jour, et 10 d'entre eux vont à la trappe la semaine suivante. Un véritable carnage culturel hebdomadaire. On ne se soucie guère ni d'éducation au cinéma (les ciné-clubs qui ont forgé des générations de spectateurs n'ont pas été franchement remplacés), on évite de se poser la question de la formation culturelle du personnel des salles de cinéma, et enfin on se garde soigneusement d'essayer de nouvelles formes d'animation, de communication. Bien sûr, je parle ici du modèle dominant, il y a fort heureusement des exceptions.
Aujourd'hui, quel est le taux de remplissage moyen d'une salle de cinéma ? Allez dites un chifre: 50% ? 40% ? 30% ? Non, il est seulement de 15% (30 spectateurs en moyenne par séance dans une salle de 200 places - statistiques CNC octobre 2007) ! Vous aurez noté que personne (ni la Fédération des Cinémas Français, ni la presse professionnelle, ni la presse nationale) ne communique sur ce chiffre. Cela traduit une incapacité à regarder la situation en face. Et donc du coup, à prendre véritablement les mesures qui s'imposent. Face à cette situation préoccupante : « A qui la faute ? » Selon UGC, MK2 ou Utopia, ce sont tout simplement les salles « dites » municipales qui feraient de l'ombre aux salles privées ! Les salles municipales seraient responsables des erreurs stratégiques des circuits, du suréquipement de certaines agglomérations, de leur cécité quant aux changements culturels et générationnels chez le public, de leur manque de prospective...
Il est sans doute bon ici de donner quelques repères : parmi les 2006 cinémas de France, 707 sont gérés par une association, 370 en direct par une ville. Les 370 cinémas municipaux (18% des lieux) totalisent 1,9% des recettes, c'est dire s'ils mettent en péril le secteur !!! Les cinémas associatifs (35% du parc tout de même) totalisent 6,1% des recettes. On le voit, ce véritable maillage culturel est énorme par sa densité (53% des sites, 1 000 cinémas sur tout le territoire) mais est extrêmement minoritaire par son importance économique (8% du marché). La raison en est simple : ces salles sont situées là où le privé n'a pas voulu s'installer : les zones rurales et les villes de banlieue.
Nous l'affirmons ici clairement : UGC, de manière concertée avec MK2 et Utopia, a mis en marche une remise en cause de la légitimité culturelle du cinéma et de la répartition des missions et des moyens de chacun. Le scénario est limpide. Mai 2007. Cannes. Jean Labé, Président de la Fédération Nationale des Cinémas Français, interpelle les pouvoirs publics en leur demandant si le cinéma relève bien du Ministère de la Culture ou bien du celui de l'Industrie et du Commerce. Question inimaginable 15 jours auparavant. Septembre 2007. UGC change sa formule de carte illimitée, et est rejoint par MK2. Le groupe attaque (par recours juridique) le projet du Méliès à Montreuil et celui du Comedia à Lyon, qui sont pourtant passés de manière satisfaisante devant les différentes commissions.
Septembre encore. Le Ministère de la Culture annonce la création d'une commission pour étudier les règles de concurrence dans l'exploitation. Une première ! Octobre 2007. L ‘ensemble du Congrès des exploitants à Deauville autour du “mauvais comportement des salles municipales”. Novembre 2007. Utopia appelle à un “Grenelle de l’exploitation”et diffuse une attaque en règle contre Le Jean Eustache qui "ferait son lard" avec une programmation trop grand public. Que va-t-il se passer ensuite ? Il y a fort à parier que la Commission nommée par le CNC attendra que les élections municipales soient passées, pour dérouler en mai 2008 à Cannes, une nouvelle grille de fonctionnement que l'on peut aisément prévoir : fin des sorties nationales et de l'accès aux films porteurs "grand public" et "Art et Essai" pour les salles de proximité en zone de concurrence. Comme UGC considère que sa zone concurrentielle est de 50km autour de ses multiplexes, il risque de ne pas y avoir beaucoup de cinémas non concernés. Cela signifie, dans la foulée, une baisse drastique des entrées pour les cinémas de proximité, avec effet boule de neige: baisse de personnel, du nombre de séances et fermeture dans un grand nombre de cas.
Que UGC et MK2 défendent leurs intérêts commerciaux et qu'ils y mettent beaucoup d'ardeur, quelque part quoi de plus logique ? Mais,même si Christine Albanel a donné raison à Montreuil dans son conflit avec UGC, et même si Véronique Cayla (DG du Centre National du Cinéma) a valorisé le travail des indépendants à Deauville, la réserve des pouvoirs publics et des élus, la méconnaissance du problème par la presse généraliste ainsi que la complaisaince de certains supports (Film Français, Ecran Total, Télérama) ont de quoi inquiéter. Mais, ce qui est plus déstabilisant encore, c'est que Utopia, dont l'image auprès des médias et des institutions est très influente, se comporte comme un aveugle complice. Car enfin, la finesse et la cohérence de leur discours politique ne sont pas à la hauteur de la qualité de leur programmation, du charme architectural de leurs cinémas et de l'efficacité de leur gazette. Pour tout dire, on se rapproche du niveau zéro de la politique. Explications.
Le niveau zéro de la politique c'est bâtir, à l'instar d'UGC et de MK2, TOUT son argumentaire sur un sophisme ravageur : cinéma municipal = cinéma subventionné. Ce qui tendrait à dire que les cinémas non municipaux ne sont pas subventionnés, ce qui est rigoureusement faux. Via le fonds de soutien automatique, sélectif, via les primes Art et Essai, via l'aide au tirage des copies, via l'aide sélective à la distribution, via l'avance sur recettes, c'est tout simplement tout le secteur qui est subventionné. Sauf que, pour Utopia comme pour UGC et la Fédération Nationale des Cinémas Français, les subventions ministérielles sont « propres », légitimes, faisant partie intégrante du système depuis belle lurette. D'ailleurs, on ne les nomme pas “subventions” mais “aides”, superbe hypocrisie d'une partie du secteur privé qui veut bien toucher de l'argent public mais surtout sans le dire. Alors que les subventions municipales, elles, relèveraient du pur arbitraire et de la concurrence déloyale !!! Le niveau zéro de la politique, c'est avoir la prétention d'avoir trouvé le bon modèle, de pratiquer l'intolérance en essayant d'imposer ce modèle à n'importe quel lieu et en niant la pertinence de toute alternative. Le niveau zéro de la politique, c'est privilégier systématiquement l'intérêt particulier par rapport à l'intérêt général. C'est développer un discours qui a pour seul objectif de préserver l'Utopia de Bordeaux au détriment des cinémas de proximité l'environnant. C'est chercher à gagner la bataille légitime de l'exonération de la taxe sur les parkings et EN MEME TEMPS chercher à perdre la guerre de l'exception culturelle (N.B. : Utopia a gagné la bataille de l'exonération de la taxe professionnelle pour les cinémas Art et Essai qui réalisent entre 6000 et 7500 entrées hebdomadaires, via le dépôt d'un amendement des députés Michèle Delaunay et Alain Rousset, voté tout récemment).
Le niveau zéro de la politique, c'est une exploitation avec deux modèles : le multiplexe généraliste d'un côté et Utopia hyper Art et essai de l'autre. Autrement dit, le cinéma de proximité devrait se conformer au modèle Utopia et diffuser 100% d'Art et Essai. Autant dire Adieu à toute idée de mixité sociale et d’animation urbaine. Les personnes âgées et les adolescents n'auraient qu'à prendre le bus ou leur mobylette pour aller dans le multiplexe en bordure de rocade s'ils veulent voir Un Secretou La Vengeance dans la peau. Et pour ceux qui sont en zone rurale, il ne leur resterait plus qu'à faire 50km en voiture. Utopia milite pour l'environnement, sachez-le ! Le niveau zéro de la politique, c'est pratiquer à longueur d'éditos, l'approximation, l'erreur, l'ignorance et la rétention d'informations : l'Utopia pointe du doigt la subvention de fonctionnement du Jean Eustache, tout en reconnaissant, en présence de Sud-Ouest, en ignorer le montant (!) et tout en passant sous silence sa subvention Art et essai record d'Aquitaine (67 000€ - subvention méritée par ailleurs). Il « dénonce » le coût d'investissement du nouveau Jean Eustache, mais le chiffre qu'il cite est deux fois supérieur à la réalité (9 millions d'Euros au lieu de 4,5) et il oublie de dire que l'Utopia de Bordeaux a lui-même touché une aide sélective record du CNC (et c'est tant mieux pour eux, évidemment). Utopia stigmatise la programmation du Jean Eustache qui ferait la part trop belle aux films grand public, alors que notre cinéma propose plus de 3500 séances par an de films recommandés Art et essai, soit le 3eme niveau de séances Art et Essai sur les 136 cinémas aquitains, derrière... UGC et Utopia.
LA REMISE EN CAUSE DU MODELE FRANCAIS CITE EN EXEMPLE DANS LE MONDE ENTIER
Le niveau zéro de la politique, c'est penser qu'une association qui reçoit des subventions est forcément riche comme Crésus, alors que c'est tout le contraire. Qu'Utopia fasse un petit sondage dans le milieu associatif, ils vont peut être revenir sur terre : de nombreux cinémas de proximité fonctionnent avec des contrats aidés, des bénévoles et des subventions minimalistes, voire pas de subvention du tout. Quant au Jean-Eustache, il ne fait pas de “gras” : nous venons de diminuer les temps horaires de deux salariés et de supprimer deux séances hebdomadaires afin de réaliser des économies sur les frais de fonctionnement. Le niveau zéro de la politique, c'est réfléchir au film de la semaine prochaine sans s'investir dans les actions d'éducation au cinéma ou de formation du personnel. Cela fait plus de 30 ans que les dirigeants d'Utopia exploitent des salles. Ils sont pourtant totalement étrangers aux dispositifs Ecole, Collège et Lycéens au cinéma et viennent critiquer ceux qui s'y investissent au quotidien : le Jean-Eustache coordonne Ecole et cinéma en Gironde, Passeurs d'images, Lycéens au cinéma en Aquitaine et participent à de nombreuses formations.
En conclusion, la guerre qui vient d'être déclarée par UGC, MK2 et Utopia, avec un assentiment tacite de la Fédération des Cinémas Français ainsi qu'une intervention assez réservée des pouvoirs publics et des distributeurs, est tout simplement la remise en cause d'un système qui a pourtant fait ses preuves et qui est cité en modèle dans le monde entier. Si, au nom de la libre concurrence, la règle de l'exception culturelle est remise en question pour l'exploitation cinématographique de proximité, alors c'est un millier de lieux cinématographiques, ouverts tous les jours, dans 1 000 communes de France, qui sont menacés. Hara-Kiri en somme.
FRANÇOIS AYMÉ, DIRECTEUR DU CINÉMA JEAN- EUSTACHE - PESSAC N.B. sources statistitiques : « Geographie du cinéma » (oct. 2007). Centre Nat. de la Cinématographie. Article (dans sa version intégrale) à télécharger sur le site du cinéma : www.webeustache.com Réactions à cet article, à adresser à : ayme.festival.pessac@wanadoo.fr Un numéro spécial de L'Eustache d'Encre consacré à ce sujet est disponible au cinéma sur simple demande. Sud Ouest publiera une synhtèse de Jean-Marie Tixier, Président du Jean-Eustache, le 10 décembre prochain.
(aux attaques d'Utopia en direction du Jean-Eustache en particulier,
et aux attaques d'UGC-MK2-Utopia envers les cinémas de proximité en général)
BÊTE ET MÉCHANT
Exploitation cinématographique :
les salles municipales, boucs émissaires
de l'imprévoyance des circuits
Exploitation cinématographique :
les salles municipales, boucs émissaires
de l'imprévoyance des circuits
Pour le spectateur lambda, il y a sans doute quelque étonnement et incompréhension à assister aux récentes piques de l'Utopia (aux côtés d'UGC et de MK2), envers les salles dites municipales en général et envers le Jean-Eustache, en particulier. Le récent entretien réalisé par le journal Sud-Ouest a eu le mérite de clarifier, un peu, la position de chacun. Cependant il nous semble nécessaire de faire un point, non par mouvement d'humeur, mais parce que l'enjeu est de taille.
En deux mots, que se passe-t-il ? Le système d'exploitation des salles de cinéma est de moins en moins rentable, pour ne pas dire plus. Certes, la fréquentation est à un niveau assez élevé si on la compare aux dix dernières années. Mais les circuits et les indépendants ont consenti de gros investissements. En 12 ans, le parc a été complètement transformé : les 146 multiplexes construits pendant la période (soit 7% des lieux) réalisent 55% des recettes. UGC et autres circuits ont cru qu'il suffirait de faire de belles et bonnes salles de cinéma. Or, cela ne suffit pas. Encore faut-il qu'il y ait du désir pour un film et pour la sortie au cinéma. Qu'à cela ne tienne, UGC a cru avoir trouvé la parade avec la carte "Illimité". Mais même cette formule a montré ses limites. La société s'est transformée et les comportements de loisirs ont été bouleversés : apparition du DVD, développement éclair du téléphone portable, d'internet et du haut débit. Aujourd'hui, quel adolescent renoncerait à son abonnement téléphonique de 30€ avec 3h de communication mensuelle pour acheter une Carte cinéma Illimité à 19,80€ par mois ? La réponse est simple : aucun. Les statistiques du Centre National du Cinéma sont cruelles : la part des 15-24 ans dans les entrées en salles est passée de 56% en 1980 à 27% en 2006 ; dans le même temps, la part des plus de 50 ans dans les entrées en salles est passée de 7,3% en 1980 à 31,7% ! Face à un vieillissement caractérisé du public, les opérateurs ont investi dans des multiplexes tout spécialement dédiés au public jeune (avec confiseries, jeux vidéo..). Erreur stratégique fatale. Et l'on veut remettre en cause, la viabilité des cinémas de proximité : contresens total.
146 MULTIPLEXES COUTEUX
POUR DES JEUNES QUI PREFERENT INTERNET ET LEUR PORTABLE
POUR DES JEUNES QUI PREFERENT INTERNET ET LEUR PORTABLE
De plus, face à ces changements considérables de comportement, l'exploitation en France campe sur son modèle vieux de 40 ans : on sort les films à la douzaine chaque semaine, à raison de 5 séances par jour, et 10 d'entre eux vont à la trappe la semaine suivante. Un véritable carnage culturel hebdomadaire. On ne se soucie guère ni d'éducation au cinéma (les ciné-clubs qui ont forgé des générations de spectateurs n'ont pas été franchement remplacés), on évite de se poser la question de la formation culturelle du personnel des salles de cinéma, et enfin on se garde soigneusement d'essayer de nouvelles formes d'animation, de communication. Bien sûr, je parle ici du modèle dominant, il y a fort heureusement des exceptions.
Aujourd'hui, quel est le taux de remplissage moyen d'une salle de cinéma ? Allez dites un chifre: 50% ? 40% ? 30% ? Non, il est seulement de 15% (30 spectateurs en moyenne par séance dans une salle de 200 places - statistiques CNC octobre 2007) ! Vous aurez noté que personne (ni la Fédération des Cinémas Français, ni la presse professionnelle, ni la presse nationale) ne communique sur ce chiffre. Cela traduit une incapacité à regarder la situation en face. Et donc du coup, à prendre véritablement les mesures qui s'imposent. Face à cette situation préoccupante : « A qui la faute ? » Selon UGC, MK2 ou Utopia, ce sont tout simplement les salles « dites » municipales qui feraient de l'ombre aux salles privées ! Les salles municipales seraient responsables des erreurs stratégiques des circuits, du suréquipement de certaines agglomérations, de leur cécité quant aux changements culturels et générationnels chez le public, de leur manque de prospective...
LES 1000 CINES DE PROXIMITE COMME BOUCS EMISSAIRES
DE LA CECITE DE LA PROFESSION
DE LA CECITE DE LA PROFESSION
Il est sans doute bon ici de donner quelques repères : parmi les 2006 cinémas de France, 707 sont gérés par une association, 370 en direct par une ville. Les 370 cinémas municipaux (18% des lieux) totalisent 1,9% des recettes, c'est dire s'ils mettent en péril le secteur !!! Les cinémas associatifs (35% du parc tout de même) totalisent 6,1% des recettes. On le voit, ce véritable maillage culturel est énorme par sa densité (53% des sites, 1 000 cinémas sur tout le territoire) mais est extrêmement minoritaire par son importance économique (8% du marché). La raison en est simple : ces salles sont situées là où le privé n'a pas voulu s'installer : les zones rurales et les villes de banlieue.
Nous l'affirmons ici clairement : UGC, de manière concertée avec MK2 et Utopia, a mis en marche une remise en cause de la légitimité culturelle du cinéma et de la répartition des missions et des moyens de chacun. Le scénario est limpide. Mai 2007. Cannes. Jean Labé, Président de la Fédération Nationale des Cinémas Français, interpelle les pouvoirs publics en leur demandant si le cinéma relève bien du Ministère de la Culture ou bien du celui de l'Industrie et du Commerce. Question inimaginable 15 jours auparavant. Septembre 2007. UGC change sa formule de carte illimitée, et est rejoint par MK2. Le groupe attaque (par recours juridique) le projet du Méliès à Montreuil et celui du Comedia à Lyon, qui sont pourtant passés de manière satisfaisante devant les différentes commissions.
Septembre encore. Le Ministère de la Culture annonce la création d'une commission pour étudier les règles de concurrence dans l'exploitation. Une première ! Octobre 2007. L ‘ensemble du Congrès des exploitants à Deauville autour du “mauvais comportement des salles municipales”. Novembre 2007. Utopia appelle à un “Grenelle de l’exploitation”et diffuse une attaque en règle contre Le Jean Eustache qui "ferait son lard" avec une programmation trop grand public. Que va-t-il se passer ensuite ? Il y a fort à parier que la Commission nommée par le CNC attendra que les élections municipales soient passées, pour dérouler en mai 2008 à Cannes, une nouvelle grille de fonctionnement que l'on peut aisément prévoir : fin des sorties nationales et de l'accès aux films porteurs "grand public" et "Art et Essai" pour les salles de proximité en zone de concurrence. Comme UGC considère que sa zone concurrentielle est de 50km autour de ses multiplexes, il risque de ne pas y avoir beaucoup de cinémas non concernés. Cela signifie, dans la foulée, une baisse drastique des entrées pour les cinémas de proximité, avec effet boule de neige: baisse de personnel, du nombre de séances et fermeture dans un grand nombre de cas.
Que UGC et MK2 défendent leurs intérêts commerciaux et qu'ils y mettent beaucoup d'ardeur, quelque part quoi de plus logique ? Mais,même si Christine Albanel a donné raison à Montreuil dans son conflit avec UGC, et même si Véronique Cayla (DG du Centre National du Cinéma) a valorisé le travail des indépendants à Deauville, la réserve des pouvoirs publics et des élus, la méconnaissance du problème par la presse généraliste ainsi que la complaisaince de certains supports (Film Français, Ecran Total, Télérama) ont de quoi inquiéter. Mais, ce qui est plus déstabilisant encore, c'est que Utopia, dont l'image auprès des médias et des institutions est très influente, se comporte comme un aveugle complice. Car enfin, la finesse et la cohérence de leur discours politique ne sont pas à la hauteur de la qualité de leur programmation, du charme architectural de leurs cinémas et de l'efficacité de leur gazette. Pour tout dire, on se rapproche du niveau zéro de la politique. Explications.
C’EST TOUT LE CINÉMA QUI EST SUBVENTIONNE
Le niveau zéro de la politique c'est bâtir, à l'instar d'UGC et de MK2, TOUT son argumentaire sur un sophisme ravageur : cinéma municipal = cinéma subventionné. Ce qui tendrait à dire que les cinémas non municipaux ne sont pas subventionnés, ce qui est rigoureusement faux. Via le fonds de soutien automatique, sélectif, via les primes Art et Essai, via l'aide au tirage des copies, via l'aide sélective à la distribution, via l'avance sur recettes, c'est tout simplement tout le secteur qui est subventionné. Sauf que, pour Utopia comme pour UGC et la Fédération Nationale des Cinémas Français, les subventions ministérielles sont « propres », légitimes, faisant partie intégrante du système depuis belle lurette. D'ailleurs, on ne les nomme pas “subventions” mais “aides”, superbe hypocrisie d'une partie du secteur privé qui veut bien toucher de l'argent public mais surtout sans le dire. Alors que les subventions municipales, elles, relèveraient du pur arbitraire et de la concurrence déloyale !!! Le niveau zéro de la politique, c'est avoir la prétention d'avoir trouvé le bon modèle, de pratiquer l'intolérance en essayant d'imposer ce modèle à n'importe quel lieu et en niant la pertinence de toute alternative. Le niveau zéro de la politique, c'est privilégier systématiquement l'intérêt particulier par rapport à l'intérêt général. C'est développer un discours qui a pour seul objectif de préserver l'Utopia de Bordeaux au détriment des cinémas de proximité l'environnant. C'est chercher à gagner la bataille légitime de l'exonération de la taxe sur les parkings et EN MEME TEMPS chercher à perdre la guerre de l'exception culturelle (N.B. : Utopia a gagné la bataille de l'exonération de la taxe professionnelle pour les cinémas Art et Essai qui réalisent entre 6000 et 7500 entrées hebdomadaires, via le dépôt d'un amendement des députés Michèle Delaunay et Alain Rousset, voté tout récemment).
Le niveau zéro de la politique, c'est une exploitation avec deux modèles : le multiplexe généraliste d'un côté et Utopia hyper Art et essai de l'autre. Autrement dit, le cinéma de proximité devrait se conformer au modèle Utopia et diffuser 100% d'Art et Essai. Autant dire Adieu à toute idée de mixité sociale et d’animation urbaine. Les personnes âgées et les adolescents n'auraient qu'à prendre le bus ou leur mobylette pour aller dans le multiplexe en bordure de rocade s'ils veulent voir Un Secretou La Vengeance dans la peau. Et pour ceux qui sont en zone rurale, il ne leur resterait plus qu'à faire 50km en voiture. Utopia milite pour l'environnement, sachez-le ! Le niveau zéro de la politique, c'est pratiquer à longueur d'éditos, l'approximation, l'erreur, l'ignorance et la rétention d'informations : l'Utopia pointe du doigt la subvention de fonctionnement du Jean Eustache, tout en reconnaissant, en présence de Sud-Ouest, en ignorer le montant (!) et tout en passant sous silence sa subvention Art et essai record d'Aquitaine (67 000€ - subvention méritée par ailleurs). Il « dénonce » le coût d'investissement du nouveau Jean Eustache, mais le chiffre qu'il cite est deux fois supérieur à la réalité (9 millions d'Euros au lieu de 4,5) et il oublie de dire que l'Utopia de Bordeaux a lui-même touché une aide sélective record du CNC (et c'est tant mieux pour eux, évidemment). Utopia stigmatise la programmation du Jean Eustache qui ferait la part trop belle aux films grand public, alors que notre cinéma propose plus de 3500 séances par an de films recommandés Art et essai, soit le 3eme niveau de séances Art et Essai sur les 136 cinémas aquitains, derrière... UGC et Utopia.
LA REMISE EN CAUSE DU MODELE FRANCAIS CITE EN EXEMPLE DANS LE MONDE ENTIER
Le niveau zéro de la politique, c'est penser qu'une association qui reçoit des subventions est forcément riche comme Crésus, alors que c'est tout le contraire. Qu'Utopia fasse un petit sondage dans le milieu associatif, ils vont peut être revenir sur terre : de nombreux cinémas de proximité fonctionnent avec des contrats aidés, des bénévoles et des subventions minimalistes, voire pas de subvention du tout. Quant au Jean-Eustache, il ne fait pas de “gras” : nous venons de diminuer les temps horaires de deux salariés et de supprimer deux séances hebdomadaires afin de réaliser des économies sur les frais de fonctionnement. Le niveau zéro de la politique, c'est réfléchir au film de la semaine prochaine sans s'investir dans les actions d'éducation au cinéma ou de formation du personnel. Cela fait plus de 30 ans que les dirigeants d'Utopia exploitent des salles. Ils sont pourtant totalement étrangers aux dispositifs Ecole, Collège et Lycéens au cinéma et viennent critiquer ceux qui s'y investissent au quotidien : le Jean-Eustache coordonne Ecole et cinéma en Gironde, Passeurs d'images, Lycéens au cinéma en Aquitaine et participent à de nombreuses formations.
En conclusion, la guerre qui vient d'être déclarée par UGC, MK2 et Utopia, avec un assentiment tacite de la Fédération des Cinémas Français ainsi qu'une intervention assez réservée des pouvoirs publics et des distributeurs, est tout simplement la remise en cause d'un système qui a pourtant fait ses preuves et qui est cité en modèle dans le monde entier. Si, au nom de la libre concurrence, la règle de l'exception culturelle est remise en question pour l'exploitation cinématographique de proximité, alors c'est un millier de lieux cinématographiques, ouverts tous les jours, dans 1 000 communes de France, qui sont menacés. Hara-Kiri en somme.
FRANÇOIS AYMÉ, DIRECTEUR DU CINÉMA JEAN- EUSTACHE - PESSAC N.B. sources statistitiques : « Geographie du cinéma » (oct. 2007). Centre Nat. de la Cinématographie. Article (dans sa version intégrale) à télécharger sur le site du cinéma : www.webeustache.com Réactions à cet article, à adresser à : ayme.festival.pessac@wanadoo.fr Un numéro spécial de L'Eustache d'Encre consacré à ce sujet est disponible au cinéma sur simple demande. Sud Ouest publiera une synhtèse de Jean-Marie Tixier, Président du Jean-Eustache, le 10 décembre prochain.