Manifeste pour un service public de cinéma par l'association Cinéma Public

Pétition de soutien ici


Notre association, Cinéma Public, se bat depuis 1978 pour l’existence d’un véritable service public de cinéma, non soumis aux seules lois du marché. Aujourd’hui ce service public de cinéma est sérieusement menacé par l’offensive du groupe UGC contre trois salles publiques ou bénéficiant de subventions : le Méliès à Montreuil, la future salle municipale de Noisy-le-Grand et le Comœdia à Lyon.

Il est temps de réaffirmer la nécessité d’un service public de cinéma et de définir ensemble une charte des salles publiques et associatives !

L’intervention publique a sauvé les salles de cinéma en France…

En ces temps de dérive libérale, nous tenons à rappeler que c’est grâce à l’intervention des collectivités locales et au rachat, par de nombreuses municipalités, de salles privées périclitant « faute de rentabilité », que la France a pu conserver un parc important de salles indépendantes sur tout le territoire français. A la fin des années 70, suite à la crise de fréquentation du cinéma, UGC fermait un bon nombre de salles, notamment celle de Montreuil qui a ensuite été rachetée par la municipalité. Même histoire pour le Comœdia à Lyon, réouvert en 2006 par un exploitant indépendant.

Ironie de l’affaire et révélateur de l’ultralibéralisme décomplexé de notre époque, ce sont ces mêmes salles qui, aujourd’hui, sont la cible des attaques commerciales et hégémoniques d’UGC.

Qui concurrence qui ? Qui concurrence quoi ? Le cinéma n’est pas une marchandise…

En ce qui concerne le Méliès et son projet d’agrandissement, le recours d’UGC (rejoint depuis par MK2) devant le tribunal administratif stipule que « l’utilisation des fonds publics pour pratiquer dans ces six salles des tarifs subventionnés […] est constitutive, de la part de la commune, d’un abus de position dominante et d’une violation des règles de la concurrence ».

Apparemment, UGC ne conteste pas le Méliès dans son fonctionnement actuel mais réagit à son seul agrandissement à 6 salles. Mais alors, pourquoi attaquer aussi Noisy-le-grand et son projet de cinéma municipal (trois écrans) ? Pourquoi un recours contre le Comœdia qui a reçu l’aide sélective du CNC pour modernisation ? En vérité il s’agit bien de remettre en question l’existence des salles publiques et du système d’aide français. UGC franchit ainsi une nouvelle étape dans sa volonté de domination et de monopole du secteur (rappelons que la nouvelle carte UGC/MK2 offre aux utilisateurs le libre accès à 354 salles en Ile-de-France et que son prix, et donc la rémunération de l’ayant droit, en est fixé unilatéralement) Qui concurrence qui ?


Certes, le cinéma est une industrie et à ce titre-là, comme le rappelle Alain Sussfeld, le directeur d’UGC : « Jusqu’à preuve du contraire, le secteur du cinéma est concurrentiel, régi par les lois du marché… » On songe à la belle formule du philosophe et économiste Serge Latouche « Quand on a un marteau dans la tête, on voit tous les problèmes en forme de clous et le marteau de l’occident, c’est l’économie » Car ce que semble ignorer M. Sussfeld, qui confond probablement les œuvres cinématographiques avec les grains de maïs soufflés vendus dans ses complexes, c’est que le cinéma est aussi un art. Jusqu’à preuve du contraire, nous avons en France, un principe pour lequel nous nous sommes battus et auquel tiennent les citoyens : cela s’appelle « l’exception culturelle ». Jusqu’à preuve du contraire, la déclaration universelle sur la diversité culturelle de l’UNESCO stipule que « pour être porteurs d’identité, de valeurs et de sens, les biens et services culturels ne doivent pas être considérés comme des marchandises ou des biens de consommation comme les autres » Enfin, en France, jusqu’à preuve du contraire, l’initiative publique peut intervenir dans le secteur public dans un cadre bien défini qui est celui de la carence de l’initiative privée, carence d’ordre quantitatif ou qualitatif.


Le spectateur qui fréquente les salles publiques ou associatives les différencie aisément des multiplexes et peut constater la défaillance de ces derniers en matière :

  • d’action culturelle envers des publics spécifiques, notamment en termes d’éducation à l’image.
  • de projections-débat, de rencontres et de manifestations qui font des cinémas municipaux des lieux de résistance à la pensée unique, créateurs de lien social, dans une relation de proximité avec les habitants.
  • de diffusion d’œuvres du patrimoine, de programmation de films pointus et novateurs, permettant aux spectateurs de découvrir de nouveaux auteurs.



Autant de missions assumées par les salles publiques qui offrent aussi :

  • une politique tarifaire permettant l’accès du plus grand nombre aux œuvres de qualité.
  • une diversité de la programmation, fruit d’un équilibre entre films d’auteur et films plus « grand public ». C’est cette démarche globale, dans une logique de politique culturelle, qui fonde l’identité de nos salles et qui permet un réel service public de cinéma.


Les groupes UGC et MK2 voudraient sans doute se réserver les films art et essai les plus porteurs et cantonner nos salles à la diffusion des films qu’ils refusent de passer, pour en faire des ghettos réservés à une minorité. Or la richesse des cinémas publics, c’est autant la diversité des œuvres que celle des publics. Ce sont des lieux d’échanges, des lieux citoyens et populaires ! Quant à remettre en question la politique tarifaire au motif qu’elle est anticoncurrentielle, c’est tout simplement remettre en question la démocratisation culturelle et dénier aux pouvoirs publics la possibilité d’une politique culturelle favorisant cette démocratisation. Rappelons enfin que l’égal accès à la culture est inscrit dans notre Constitution. Est donc fondée la légitimité de l’intervention des pouvoirs publics dans ces domaines.


Pour une charte des cinémas publics ! Nous devons absolument nous mobiliser contre la conception mercantile du cinéma d’UGC et plus largement contre une vision commerciale de la culture. Nous ne devons pas laisser les marchands de pop-corn définir restrictivement les missions et les orientations des salles publiques. Nous appelons tous ceux qui défendent le service public, spectateurs, professionnels, élus à définir ensemble une charte des salles publiques de cinéma.


  • Précisons ensemble les missions (en matière de programmation, d’action culturelle, de démocratisation, de citoyenneté) d’une salle publique afin d’élaborer un cahier des charges qui servira d’outil pour les élus, les institutionnels et sera un moyen de sensibilisation des spectateurs.
  • Soyons critiques, pointons ensemble problèmes et dysfonctionnements, interrogeons-nous sur le sens d’une action publique cinématographique.
  • Dégageons des propositions pour travailler avec les réalisateurs, distributeurs, producteurs afin de garantir la visibilité des œuvres les plus singulières et permettre une éducation du regard.
  • Associons les spectateurs des salles à cette réflexion et interrogeons-nous sur les publics.
Si la ligne éditoriale d’un cinéma ne doit pas se soumettre à une logique de la demande (qu’on présuppose le plus souvent, avec les a priori que nous portons tous), il faut néanmoins questionner la relation de la salle au public, tenir compte de la réception de l’offre, travailler avec le public et les habitants pour que leur cinéma soit un véritable lieu d’échange et de partage.
  • Enfin, anticipons et réfléchissons aussi à l’avenir de nos salles, à leur équipement, face au développement du numérique.