17 janvier 2008, l'Humanité

Rencontres


Inquiétudes transversales
par Jean Roy

Plus de trois cents professionnels du cinéma se sont retrouvés vendredi dernier au Saint-André-des-Arts.


C’était, vendredi, au Saint-André-des-Arts, à Paris, salle de cinéma emblématique de ce que la curiosité d’un homme, Roger Diamatis, a pu apporter sur les écrans de l’art et essai pendant des décennies. Plus de trois cents personnes étaient là, venues de toute la France, chacune représentative de cet esprit d’indépendance qui permet à tout le cinéma d’exister. Car, pour qu’il y ait des films, il faut des producteurs, des réalisateurs, des techniciens, des comédiens (ils étaient là), mais aussi des distributeurs, des exploitants, des festivals, des ciné-clubs, des critiques, des enseignants, des structures, des associations, conditions « ciné qua non » pour avoir à l’arrivée l’essentiel… des spectateurs.

Parmi les inquiétudes, la baisse importante des crédits d’État alloués à la diffusion culturelle cinématographique ; l’incertitude quasi totale pour les porteurs de projets quand aux apports respectifs du ministère de la Culture, via les crédits déconcentrés en DRAC, et du CNC, appelé à la rescousse dans une grande improvisation ; l’annonce d’une révision générale des politiques culturelles, dont on ne connaît ni les orientations ni les conséquences, quant à l’avenir des DRAC ; une véritable incertitude quant aux liens futurs entre le ministère et le CNC. Chacun, à son niveau, se sent menacé. Paranoïa ? Certainement pas. Preuve en a été fournie par un employé du ministère scandalisé par les consignes internes et les méthodes prescrites pour couper dans l’aide publique, qu’il a pris le risque de dévoiler. Trois heures n’ont pas été de trop pour que ceux qui le souhaitaient puissent s’exprimer. Formidable échange qui a permis - bien que tous soient peu ou prou d’accord sur le diagnostic dès le départ comme il est obligé dans ce genre de rencontres - de mesurer, dans leur complémentarité, la variété des situations comme le désir de riposter ensemble.

C’est ainsi qu’on a pu entendre, parmi d’autres, Philippe Germain, délégué général de l’Agence du court métrage ; Eugène Andréansky, délégué général des Enfants de cinéma ; Olivier Bruand, délégué général du Groupement national des cinémas de recherche ; Gilles Sacuto, producteur ; Éric Guirardo au nom de la Société des réalisateurs de films ; Geneviève Troussier, présidente de l’Association des cinémas de l’Ouest pour la recherche ; Séverine Rocaboy, présidente de l’Association des cinémas de recherche de l’Île-de-France ; Christian Odos, pour le Syndicat des distributeurs indépendants ; Dominique Bax, présidente de Carrefour des festivals ; Claude Michel pour la CGT spectacle ; Janine Bertand pour les ciné-clubs ; Claire Vapillon, vice-présidente de la FFMJC, etc, et noter la présence indéfectible du sénateur Jack Ralite.

Sur le champ ont été actées la création d’un collectif national de l’action culturelle cinématographique et la demande faite au ministère de rencontrer les professionnels des filières de l’action culturelle cinématographique. Un appel a été lancé à signature à partir d’un texte commun.

Pour en savoir davantage : http://cinema-diversite-culturelle.blogspot.com



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Points de vue
Arnaud Meunier, metteur en scène

C’est la défense de nos imaginaires qui est à défendre collectivement. On nous martèle qu’il y aurait trop de compagnies, trop de spectacles, trop d’acteurs. C’est un argument politique puissant. Pour des raisons d’économie qui n’échappent à personne, les saisons théâtrales excluent les vacances scolaires ; les théâtres ouvrent et ferment de plus en plus tôt. Ajoutez la crise de l’intermittence, la remise en cause des conventions collectives ainsi que l’érosion mécanique des budgets, tous ces symptômes conduisent à l’asphyxie complète du système. Quand Paris se transforme en une espèce d’Avignon off permanent, quand jouer à Paris fait perdre de l’argent aux compagnies, il y a urgence à harmoniser les politiques publiques en faveur du spectacle vivant, urgence à créer des outils opérants qui accompagnent la création.



Robin Renucci, comédien

Manifeste d’intérêt général pour une politique d’éducation artistique durable et concertée (extraits) :

Nous dénonçons La discontinuité de l’action de l’État au gré des alternances démocratiques ; l’érosion actuelle des budgets de l’État consacrés aux arts et à la culture dans leur dimension éducative ; les écarts entre les paroles et les actes.

Nous voulons :

  • face à une vision réductrice et normalisatrice de la réussite scolaire, que l’éducation de nos enfants réconcilie et valorise toutes les formes d’intelligence ;
  • face aux assauts quotidiens de la marchandisation, que nos enfants apprennent à distinguer une oeuvre d’un produit ;
  • dans une société du divertissement et de la médiatisation, que nos enfants aient toujours le choix des arts et de la culture ;
  • dans une société fragmentée, que la diversité des esthétiques et des pratiques soit une chance et une arme contre les déterminismes.

Nous affirmons :
  • que le chantier de l’éducation artistique doit être une priorité nationale ;
  • que l’éducation artistique conjugue nécessairement un projet pédagogique, un projet artistique et un projet culturel dans un cadre éducatif partagé. Sa mise en oeuvre concerne tous les professionnels et tous les acteurs des métiers de l’éducation des arts et de la culture, comme tous les responsables et les élus des politiques publiques de l’État et des collectivités territoriales.

(…) Nous sommes convaincus que l’éducation artistique contribue à la construction et à l’épanouissement de chaque individu tout en créant du lien social et politique.

Texte prononcé le 11 janvier, au Saint-André-des-Arts.
L'Humanité
- 17 janvier 2008