Le Méliès à Montreuil : un projet de cinéma

Cinéma Georges Méliès,
Montreuil-sous-Bois


Un projet de cinéma
par Stéphane Goudet


Que peut bien faire une salle de cinéma Art et Essai, en plus de s’efforcer de montrer, dans des conditions optimales, les meilleurs films qui sortent au gré des semaines ? Prendre une part active à des festivals, créer des week-ends spéciaux autour de grands auteurs, faciliter l’accès aux créateurs en mettant au point très régulièrement de vrais échanges publics d’une heure et plus avec les réalisateurs. De nombreuses salles Art et Essai, dans le réseau extraordinaire que possède encore la France, réalisent ce travail.

Quelle est alors la spécificité du cinéma Georges Méliès de Montreuil-sous-Bois, en Seine- Saint-Denis, que j’ai le privilège de diriger et de programmer, avec Serge Fendrikoff, et qui, ces derniers mois, est, avec le Comoedia de Lyon, au centre des débats sur l’avenir des salles indépendantes ?

Le Méliès s’est d’abord fait une spécialité de recevoir de grands cinéastes internationaux d’ordinaire réservés aux seules institutions. Régulièrement, un maître du cinéma contemporain est accueilli par un grand cinéaste français, qui lui rend un hommage public et dialogue – autant que faire se peut – avec lui : ainsi d’Oliver Stone avec Arnaud Desplechin, d’Abel Ferrara avec Bertrand Bonello, de Monte Hellman avec Jean-François Stévenin, de Michael Cimino avec Claude Miller, et en juin dernier, deTsaï Ming-liang avec Claire Denis.

Pour nous, l’événementiel est décisif pour conférer une identité à une salle indépendante. Mais le travail fondamental s’opère peut-être davantage par la mise en place de cycles réguliers, qui donnent le mieux à lire la politique de programmation et d’animation d’un établissement. Au Méliès, à raison d’une projection toutes les 6 semaines en moyenne, pas moins de cinq cycles ont été instaurés, qui renvoient à cinq approches complémentaires du cinéma comme art et comme lieu. La dimension festive est jugée par l’équipe indispensable, incarnée à la fois par les nuits de cinéma, les Ciné-concerts et les Ciné-goûters (pour enfants), mais aussi par les Ciné-karaokés. Ou comment faire chanter une salle entière (équipée des paroles et parfois déguisée) sur des films musicaux projetés en demi-jour le temps des choeurs (de tout Demy à Podium, en passant par West Side Story, l’Etrange Noël de Monsieur Jack, Jeanne et le garçon formidable ou Téléphone public).

Aux antipodes apparents de cette conception interactive et distractive de la salle de cinéma, ont été mises en place de véritables conférences (de trois quart d’heure environ), à l’issue de certaines projections, pour réaffirmer l’importance de l’écoute et assumer le désir d’une pédagogie vivante, incarnée et si possible assez joyeuse. En partenariat avec la Maison populaire de Montreuil, sont ainsi nés trois cycles : les Ecrans psychanalytiques, les Ecrans sociaux (carte blanche à l’association Le peuple qui manque) et les Ecrans philosophiques, pour répondre à ce désir de sens, qu’amplifie la vacuité médiatique. Pour ce dernier cycle, les directeurs de programme du collège international de philosophie, structure située dans le 5ème arrondissement de Paris, partenaire depuis 4 ans de cette initiative, proposent une lecture philosophique d’un film de leur choix, avant d’échanger librement avec la salle. L’intervention de Jean-Luc Nancy sur l’Intrus de Claire Denis, inspiré de son propre essai, fut par exemple mémorable.

Le troisième cycle, militant, est une tradition dans cette ville très fortement ancrée à gauche : il vise à percevoir le cinéma à partir du champ social et politique et implique un lien sans cesse réactivé avec les associations locales et nationales, comme Attac, les Amis de la Terre, la Maison des femmes, le Réseau éducation sans frontières, la Ligue des droits de l’homme... Deux modalités de collaboration sont possibles, le plus souvent en rapport avec l’actualité du cinéma : dotées de leurs propres supports de communication, ces associations, fortes de leurs réseaux, peuvent, bien sûr, être d’excellents relais d’informations. Mais elles sont également à l’origine de programmations thématiques, de mini festivals (type semaine du développement durable) ou de soirées exceptionnelles, avec invités spécialisés, au risque (maîtrisable) de l’instrumentalisation des œuvres.

Parallèlement à ce cycle socio-politique, un projet a été initié par la salle en février 2006, soit quelques mois après ce que les télévisions nommaient “les émeutes de banlieues”. L’appel inaugural fut publié successivement par Indymédia, Le Monde, Les Cahiers du cinéma et Images documentaires. Face à la crise que connaissent les grands médias (menaces sur Libération, Politis, L’Humanité, arrêt de 90 minutes du Vrai Journal sur Canal +, d’Arrêts sur image sur France 5, mais aussi du Cinéma l’après-midi sur France Culture et de La Bande à Bonnaud sur France Inter...), il paraissait urgent d’inventer de nouvelles manières de traiter l’information, avec un réel esprit critique, un désir d’analyse, une subjectivité assumée qui mettrait en lumière, par contraste, la fausse objectivité des télévisions nationales et manifesterait un souci de la forme qui contournerait le formatage que nous subissons chaque jour davantage. Il s’agissait d’essayer de traiter de l’actualité “en” cinéma, en développant des expériences apparentées à la pratique des blogs ou aux pages réservées aux lecteurs dans les grands quotidiens, en affirmant une exigence et en refusant toute forme de démagogie. L’idée était également de replacer la salle de cinéma au centre de la vie publique (culturelle, mais aussi sociale et politique), avant de montrer ces films sur Internet pour leur assurer une circulation optimale. Avec des bonheurs inégaux, au sein des trois ateliers de production mis en place à Montreuil, Saint-Denis et La Courneuve, de petits films d’actualité ont donc été réalisés toute l’année par des non professionnels, décidés à partager, en vidéo légère, leurs points de vue singuliers sur l’actualité locale, nationale ou internationale, avant d’être diffusés sur grand écran.

Quatrième rendez-vous régulier du Méliès, quatrième point de vue sur le cinéma, qu’on pourrait qualifier d’esthétique ou de cinéphilique : les ciné-conférences, avec études de séquences plan par plan, consacrées à des films du répertoire et animées par un(e) universitaire (le plus souvent Fabienne Duszynski et Nachiketas Wignesan), qui anéantit le lieu commun démagogique selon lequel l’analyse assècherait ou dévitaliserait l’œuvre.

Un dernier cycle est apparu tout récemment. Intitulé “Parlons cinéma”, il est consacré à des films portés aux nues par la critique et qui nous laissent, quant à nous, perplexes (comme Honor de Cavalleria), voire agacés. Plutôt que de refuser totalement de montrer telle ou telle œuvre dont la presse a loué les mérites, nous en proposons quelques séances dont l’une est accompagnée d’un dialogue contradictoire entre un laudateur et un détracteur, contraints d’échanger sur le terrain de ce qu’ils appellent (sans parler toujours de la même entité) : “le cinéma”. Dans une société où l’on pratique plus volontiers l’anathème que la réelle confrontation des points de vue, la salle de cinéma peut se révéler comme un lieu privilégié d’exercice de la démocratie pour interroger idées et doxa, et penser à la fois la création contemporaine et sa perception critique.

Ce panorama des principales actions du cinéma Méliès n’a nulle vocation à être exhaustif. En sont ici exclues toutes les opérations qui sont menées spécifiquement en direction du jeune public et le nouveau cycle sur l’animation mis en place au Méliès par le Forum des images et l’Association française du cinéma d’animation. Il établit cependant qu’il ne faut jamais négliger d’inventer de nouvelles manières de faire découvrir et aimer le septième art. Sans doute le renouvellement du public cinéphile qui est notre objectif, mais aussi le maintien d’un enthousiasme dans l’exercice potentiellement routinier de la programmation, sont-ils à ce prix ? Cette typologie, dans sa diversité même, aura peut-être eu aussi le mérite de souligner la cohérence d’un projet de cinéma, et de justifier pour partie les ambitions nouvelles affichées par la ville de Montreuil, propriétaire du Méliès.

Notes :

  • Le Méliès de Montreuil participe au festival Paris cinéma, aux rencontres de la Seine-Saint-Denis coordonnées par Cinémas 93 et co-organise avec Périphérie les Rencontres du cinéma documentaire, qui en ce mois d’octobre 2007, porte sur « le comique documentaire » avec 3 invités d’honneur, Claudio Pazienza, Serguei Dvortsevoi et Luc Moullet, mais également Alain Cavalier, Radovan Tadic, Nicolas Philibert, Claudine Bories, Patrice Chagnard (sous réserves)...
  • Le réalisateur Fabien Pichler a consacré en 2006 un documentaire de 52 minutes au travail du Méliès, intitulé Ciné Qua Non.