21 février 2008, SNES Actualité






Cinéma et culture de qualité en danger ?

état des lieux en ce début d’année 2008



Avec cet article, complémentairement à ce que nous avons déjà écrit dans l’US-Magazine, nous débutons un tour d’horizon des nombreuses et graves dégradations annoncées ou prévisibles dans le domaine de la culture, qui ne sont pas seulement la conséquence d’un budget 2008 en réduction (accrue par l’intégration de dépenses relevant antérieurement d’autres ministères, en particulier dans le domaine du patrimoine), mais d’une orientation assignée par la "lettre de mission" du président de la République à la ministre de la Culture et de la Communication, Christine Albanel le 1/8/2007. Non sans contradiction entre grandes déclarations et faits (incitation à s’appuyer sur "l’éducation culturelle et artistique à l’école" au moment même où se planifiaient la suppression de 11.000 postes et la réduction des heures de cours !), ce texte d’orientation qui a pu faire illusion un temps chez certains, résonne surtout d’une volonté d’aligner la politique culturelle sur la gestion d’entreprise en privilégiant un utilitarisme étroit, une culture du "résultat", la ministre devant "veiller à ce que les aides publiques à la création favorisent les offres répondant aux attentes du public". Formulation précisée : "Vous exigerez de chaque structure subventionnée qu’elle rende compte de son action et de la popularité de ses interventions, vous leur fixerez des obligations de résultats et vous empêcherez la reconduction automatique des aides et subventions"…

On sait où peut mener la généralisation de la course aux records d’audimat ! à l’encontre de la diversité et de la démocratisation culturelle, tant vantées par ailleurs, et bien sûr de toute audace créatrice…

Les mobilisations des professionnels de divers secteurs culturels se développent et nous en feront écho (ainsi, voir le texte que nous publions par ailleurs sur l’action nationale de ce vendredi 22 février au moment de la cérémonie des César à l’initiative du Collectif national de l’action culturelle cinématographique et audiovisuelle). Est également annoncée une journée de mobilisation nationale contre le désengagement de l’Etat dans la culture, à l’initiative de l’Union fédérale d’intervention des structures culturelles (représentant plus de 1.500 structures et associations artistiques et culturelles, quelques fédérations comme celle des arts de la rue...), vendredi 29 février avec des initiatives dans de nombreuses villes (à Paris, à partir de 15h00, place du Palais Royal).

Nous sommes concernés tout autant comme éducateurs, qu’en tant que citoyens et syndicalistes, car toute régression culturelle est profondément dommageable au système éducatif, chacun de nos lecteurs sachant bien par ailleurs comment la qualité de notre service public d’éducation nationale est elle-même profondément affectée par la politique gouvernementale actuelle.

Philippe Laville




Avenir du cinéma, du court-métrage et des festivals le Festival du court métrage à Clermont-Ferrand fêtait cette année ses trente ans d’existence. Il a connu du 1er au 9 février la même affluence, le même grand succès auprès du public et des professionnels. Les salles étaient combles à chaque séance, les amphithéâtres bondés. Une heure avant l’ouverture des portes, la file d’attente s’étirait déjà dans l’escalier qui conduit à l’amphithéâtre Gergovia pour la première séance de dix heures. Le même public assidu, curieux, passionné, attiré par les différentes programmations proposées : la nationale, l’internationale, le Labo, l’Asie du Sud-Est, les chiens, Alzeimer…

Depuis sa création en 1978, ce festival né d’un ciné-club et de la cinéphilie passionnée de quelques uns, aura vu passer onze ministres de la Culture et totalisé 1.922.595 entrées. Pour la session 2008, les organisateurs auront visionné 4.538 films venus de 103 pays et 1.378 films français, on a dépassé les 130.000 entrées et le vingt troisième marché du film court aura ouvert ses portes à 2.800 professionnels accrédités.

On pourrait se satisfaire de tant de signes de bonne santé d’un Festival du Court qui bat le record la longévité et a donné la preuve que le film court existe comme une œuvre à part entière définitivement débarrassé de sa seule image de banc d’essai.

Pourtant les menaces qui pèsent sur la Culture, même si elles épargnent pour l’instant les manifestations prestigieuses, pourraient très bien, par ricochet, les atteindre un jour.

Or, si l’on pouvait apprécier la présence dans le hall de la Maison de le Culture d’un stand RESF (Réseau éducation sans frontières, qui a tant à faire actuellement pour faire obstacle aux expulsions massives, brisant familles et jeunes scolarisés), on pouvait regretter qu’il n’y ait eu, ni au cours de la séance d’ouverture, ni avant les séances, la moindre prise de parole à propos de l’avenir du court métrage et des dangers qui menacent le cinéma, de la situation prochainement catastrophique des intermittents du spectacle ou de la culture en questions. Il aura fallu attendre la séance de clôture pour que la question soit abordée.

Il est vrai que Clermont-Ferrand compte parmi les rares festivals qui continueront à être soutenus par le CNC et par là même échapperont à la politique d’élimination que prépare le gouvernement Sarkozy…

En janvier 2006 les orientations fixées par le rapport Rocca laissaient espérer un avenir pour le Court métrage même si les textes annoncés comportaient déjà des raisons d’être inquiets. Suite à un travail de concertation, le CNC débloquait 1,8 M € supplémentaire pour le film court. Ce premier geste en faveur de l’emploi dans ce secteur ne devait être qu’un premier pas dans la reconnaissance du court métrage. 600.000 € complémentaires étaient annoncés pour l’année suivante assortis d’une revalorisation en direction des films d’animation, expérimentaux et documentaires de création. Mais les aides publiques n’ont pas augmenté et surtout aucun groupe de travail n’a été reconduit. Où en sont les projets d’exonération des charges sociales ou la prise en compte du mécénat ? Restés en rade, abandonnés. Un ministre plus tard, il n’en est plus question faute de volonté politique et d’interlocuteur…

La menace d’un mouvement de grève lancé par la Fédération des industries du cinéma, de l’audiovisuel et des multimédias, la Ficam semblait avoir alerté les pouvoirs publics. Pourtant, pour son trentième anniversaire, une visite au Festival de Clermont-Ferrand ne semblait pas figurer sur l’agenda de la ministre de la Culture. Véronique Cayla (directrice générale du CNC depuis juin 2005) s’est annoncée pour le 4 février alors que le marché du film avec l’arrivée des professionnels ne débutait que le 5…

Le rassemblement des organisations du Court, dont le SPI (Syndicat des producteurs indépendants) assure la co-présidence avec la SRF (Société des réalisateurs de films), avait un projet avec France Télévision. Un accord interprofessionnel qui consistait à aligner le court métrage sur le long, pour lequel une décision avait été prise en décembre 2007 et qui devait comporter un volet financier et un volet distribution. Mais l’annonce de la suppression de la publicité, sans qu’ait été étudié et garanti un autre financement complémentaire du service public, risque fort de faire passer à la trappe ces projets qui ne font que grossir le flot des effets d’annonce...


L’inquiétude est grande dans la profession.
Le vendredi 11 janvier 2008 avait lieu au Cinéma Saint-André des Arts le rassemblement de plus de 300 représentants du cinéma indépendant français venus protester haut et fort contre le désengagement de l’Etat vis-à-vis de l’action culturelle cinématographique. Les cinq millions d’Euros alloués par les DRAC pour soutenir les festivals, les associations régionales de salles, les circuits itinérants et les structures liées à l’éducation à l’image menacent d’être fortement réduits en 2008. On parle d’une diminution de 20% qui mettrait en péril les actions engagées par nombre de festivals et d’associations.

Juste avant ce rassemblement, le 7 janvier, le Ministère de la Culture, sans doute dans le but de désamorcer un mouvement qui risquait de faire du bruit, annonçait que l’enveloppe de 34,8 millions d’euros destinée au seul spectacle vivant était en fait à partager avec le cinéma.

Dans le même temps, le Ministère annonçait qu’ « un certain nombre de festivals de cinéma jusque là soutenus par les DRAC mais ayant acquis une dimension nationale, voire internationale seront subventionnés par le Centre national de la cinématographie ». La Rochelle, Annecy, Les trois continents à Nantes, Les rencontres du moyen métrage de Brive et Clermont-Ferrand comptent parmi ceux-là. Ils sont une trentaine au total…

On pourrait se satisfaire de voir ces festivals épargnés mais la décision ne s’assortit d’aucune garantie pour l’avenir. Et que vont devenir les autres manifestations qui restent sous tutelle des DRAC (Directions régionales des affaires culturelles aux moyens considérablement réduits) ?

De plus, ces changements interviennent alors que l’année 2008 est commencée et que sont passées depuis longtemps les dates limites de dépôts de dossiers de demande de financement auprès des collectivités territoriales permettant de compenser le désengagement de l’Etat… Or, un directeur de Festival a une responsabilité administrative et qu’adviendrait-il de lui s’il ne pouvait faire face à ses engagements vis à vis d’une équipe et d’un budget de fonctionnement déjà engagé ?

Quel avenir par exemple pour certains festivals comme Paris Tout Court dont le Délégué Général a appris le 7 janvier que la DRAC Ile-de-France supprimait sa subvention et cela alors que le festival qui débute début mars a pris des engagements. Car rien ne laissait présager ce déficit puisque la même DRAC paraissait satisfaite des dossiers d’évaluation des années précédentes.

Ce festival qui à mis en place, parallèlement aux manifestations traditionnelles, un important dispositif Education à l’image avec une forte affluence de scolaires aux séances prévues à leur intention et la mise en place d’ateliers d’initiation à une technique d’animation, d’analyse de l’image, ou de programmation, va-t-il devoir réduire ses activités et annuler ses projets de rencontres et d’activités intergénérationnelles.

Une solution d’urgence reste à trouver mais laquelle ?


Que deviennent les intermittents ?
Il est question de nouvelles mesures qui prendraient effet en avril 2008 et qui, en mettant en place l’attribution d’un code par création de spectacle, sous prétexte de lutter contre les abus dans le domaine, conduiraient à la mort des compagnies et à la disparition de nombreux intermittents parmi les plus précaires…

En matière d’abus, la Cour des comptes vient d’en débusquer. Mais ces abus ne sont pas le fait d’intermittents gourmands ou malhonnêtes. Ils mettraient en cause la gestion de la caisse des Congés spectacles qui est un organisme dont la gestion est confiée à des employeurs. Il est question de cotisations jamais versées, de retraites amputées par le fait de cotisations sociales sous-estimées, d’entente entre des organisations patronales et certains syndicats.

Il s’agirait d’un secret de polichinelle car il semblerait que depuis de nombreuses années, les agissements obscurs de cette caisse patronale – où se trouvent encore inscrits des artistes disparus depuis des décennies comme Arletty ou Bourvil- aient été à maintes fois dénoncés sans qu’il y ait eu de suite. Ce qui est à redouter, c’est que pour étouffer une affaire douteuse, le Ministère du travail ne mette fin à la caisse de congés et que le déroulement de ce service se fasse directement, ce qui reviendrait à diminuer sensiblement les cachets.

On peut craindre également qu’un rapport négatif de plus dans le domaine de l’intermittence, au lieu de prendre en compte les véritables problèmes et propositions exprimées par la majorité des travailleurs concernés (voir ces propositions ici) et un grand nombre de parlementaires au cours de la législature précédente, ne soit qu’un prétexte supplémentaire pour le gouvernement et le Medef de prendre de nouvelles mesures à l’encontre des intermittents du spectacle et de la création de qualité dans notre pays.

Francis Dubois