7 janvier 2008, Libération

Didier Péron
QUOTIDIEN : lundi 7 janvier 2008


Le cinéma d’en bas en danger

Subventions. Le transfert des crédits du ministère

vers le CNC menace les petites structures.



Depuis des semaines, la panique monte dans les rangs des associations d cinéma, après l’annonce par le ministère de la Culture et le Centre national de la cinématographie (CNC) d’une importante baisse (dont l’ampleur n’es pas encore précisée) des crédits déconcentrés en Drac (Directions régionale des affaires culturelles). Les nombreuses actions décentralisées (festivals programmation de salles de proximité, actions éducatives…) dépendent de subventions de l’Etat distribuées par les Drac. Or, le ministère entend réorienter les budgets et confier le bon soin des animations culturelles liée au cinéma au seul CNC.

Gel. Le CNC bénéficie d’une augmentation de ses subsides, suite à la loi de mars 2007 sur la «télévision du futur». Le ministère estime donc qu’il peut sans trop d’états d’âme se retirer doucement du jeu. Le CNC devra, au terme de négociations, épauler certains festivals jusqu’ici aidés par subventions publiques, mais le tri sera forcément violent.

Alertés par les rumeurs de baisse des budgets, les professionnels du spectacle vivant (musique, théâtre, danse…) ont donné de la voix et obtenu de la ministre Christine Albanel un gel de la situation, via une rallonge de 34,8 millions d’euros en 2008 pour «apaiser les inquiétudes». Des entretiens ce mois-ci rue de Valois avec les professionnels du secteur et les grandes associations représentant les collectivités territoriales sont censés calmer les esprits.

Crise. Au lieu de rassurer le milieu du cinéma, ce sauvetage du spectacle vivant est désormais perçu comme la volonté de la part du ministère d’extirper le cinéma de ses prérogatives.

Les annonces de ces baisses de subventions interviennent dans un climat de crise latente du secteur qui est, depuis un an, confronté aux enjeux du basculement vers le numérique, conversion économiquement lourde et qui devrait laisser sur le carreau bon nombre de petites salles qui ne pourront pas s’équiper. La charge judiciaire d’UGC et MK2 contre des cinémas subventionnés par des municipalités (notamment le Méliès de Montreuil, attaqué pour «abus de position dominante») a relancé le sentiment désagréable d’une logique d’écrasement des petits par les gros (Libération du 25 septembre 2007).

Ce scénario est contesté par des cinémas indépendants d’art et essai (Utopia à Bordeaux et Toulouse, Diagonal à Montpellier…), non subventionnés par les municipalités et regroupés sous le sigle ISF (Indépendants, Solidaires et Fédérés). Dans un communiqué, ils entendent décrire une situation plus complexe que ne l’auraient présentée les médias et en appellent à un «Grenelle de l’exploitation», qui «fixerait enfin les droits et devoirs respectifs, chacun jouant cartes sur table et chiffres au clair».

Les nombreux signataires de la pétition contre la baisse des subventions, quant à eux, se donnent rendez-vous vendredi, au cinéma Saint-André-des-Arts (Paris VIe), pour un «rassemblement national des acteurs de la diffusion culturelle et de l’éducation artistique».



"C’est une question
de vie ou de mort"


Quatre représentants du milieu associatif dénoncent la baisse du montant des aides.
Recueilli par DIDIER PÉRON
QUOTIDIEN : lundi 7 janvier 2008




Nous avons rencontré quatre acteurs du milieu associatif afin qu’il expriment leur point de vue sur la situation
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Antoine Leclerc, Carrefour des festivals (1) : «Le budget cinéma dans les Drac est de l’ordre de 2 ou 3 %, soit une somme nationale de moins de 5 millions d’euros pour la diffusion culturelle du cinéma. Les subventions vont plutôt au patrimoine, au spectacle vivant, etc. La forte baisse annoncée, pour être globalement minime à l’échelle du ministère, représente des sommes déterminantes pour les organismes concernés, de 10 à 30 % du budget d’une association. On est face non à une situation conjoncturelle de serrage de ceinture en période d’austérité, mais à un vrai décrochage. Le CNC est appelé à la rescousse pour sauver quelques festivals, le tout dans une improvisation totale. Qu’on puisse au moins avoir six mois pour expliquer notre action ! Là, c’est la pire des manières, improvisée au mépris des exigences les plus élémentaires de n’importe quel conseil d’administration d’association qui engage sa responsabilité en faisant des dépenses, en embauchant des gens.»



Philippe Germain, Agence du court métrage (2) : «S’il y a une réelle diffusion du court métrage aujourd’hui, qui permet la découverte de nouveaux cinéastes, c’est qu’il existe un système qui s’est lentement mis en place, avec des festivals, des associations de programmation… Avec ce retrait de l’Etat, les collectivités sont mises devant le fait accompli. Les conventions Etat-régions ont été, depuis des années, des soutiens à la création et à la diffusion. Si cette politique de baisse se confirme, on assistera rapidement à un puissant retour de déséquilibre entre les régions. Il est tout à fait normal que les contribuables veuillent savoir à quoi sert l’argent de leurs impôts et personne ici n’est contre une évaluation des politiques publiques. Mais le gouvernement ne s’est pas donné le temps d’aller sur le terrain.»



Eugène Andréanszky, Les enfants de cinéma (3) : «Sur les quelque 2.000 salles de cinéma en France, environ 1.000 sont à statut associatif ou municipal, énormément en milieu rural ou dans des endroits où les multiplexes ne s’installent pas. Economiquement, cela ne représente que 8 % des recettes nationales ! Pour ces salles-là, 4.000 ou 5.000 euros de subventions, c’est la vie ou la mort. Si on arrive dans une logique voulant que les salles associatives n’ont plus de raison d’être, on défait ce que l’on a mis cinquante ans à construire, comme le projet Ecole et cinéma, présent dans 90 départements en France. On a au moins 35 structures associatives qui font un travail de proximité, avec des personnes qui accueillent les classes, reçoivent les enseignants, fournissent un encadrement pédagogique.»



Olivier Bruand, GNCR (4) : «Toute industrie finance son laboratoire de recherche. Si les coupes budgétaires se concrétisent, le lien le plus fragile, le plus aventureux aussi, entre le secteur de production/distribution et le public, sera brisé. C’est une absurdité, puisque des films aidés par le CNC ou d’autres organismes seront balancés sur le marché sans plus personne pour les réceptionner. Si ce maillage, qui fonctionne, est détricoté, restera une vitrine parisienne et plus rien en région. Ce n’est pas quelque chose que le marché peut porter à lui seul, il faut une volonté politique.»


(1) Carrefour des festivals : Association créée en 1980 mettant en réseau plusieurs festivals de cinéma français.

(2) Agence du court métrage : Association créée en 1983 par un groupe de professionnels du cinéma - auteurs, réalisateurs, producteurs et distributeurs - dans le but de promouvoir et favoriser la diffusion du court métrage en France.

(3) Les enfants de cinéma : Association créée en 1994 autour de programmes jeune public.

(4) Le Groupement national des cinémas de recherche, né en 1991 et rassemblant 250 établissements cinématographiques et huit associations régionales, soutient les productions les plus novatrices.